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guerre !… Alors tu t’assois écrasé par ce bonheur tranquille que tu ne peux plus partager, tu souris machinalement ; tu regardes brûler le feu ; le plus souvent tu restes muet jusqu’à ce que sonne l’heure du coucher ; tu prends alors ta lumière, et tu te traînes misérablement seul jusqu’à ta chambre.

Si, au cœur de l’hiver, dans une diligence où trois voyageurs sont chaudement et commodément assis, un quatrième tout couvert de neige et demi-gelé descend de l’impériale et les force de se gêner un peu pour lui faire place au milieu d’eux, ils se retournent tous trois sur leur banc, relèvent avec inquiétude les collets de leurs manteaux, rajustent leurs cache-nez et constatent avec humeur qu’ils ont fait une perte sensible de calorique ; du moins l’intrus a fait sensation. Mais eussiez-vous dans le cœur toute la neige des monts Grampians, vous entreriez sans qu’on prît garde à vous. Tâchez seulement de ne pas marcher sur les pieds de votre vis-à-vis, pas une âme ne se dérangera, pas un cache-nez ne se relèvera d’un pouce !

Je n’avais pas fermé l’œil, je ne m’étais pas même couché de toute la nuit, après avoir dit adieu à Fanny Trévanion ; et le lendemain matin, lorsque le soleil se leva, je sortis ; pour aller où ? je l’ignore. J’ai un vague ressouvenir de longues rues grises et solitaires ; de la rivière qui semblait couler dans un lugubre silence, loin, bien loin, vers quelque invisible éternité ; d’arbres et de gazon, et de joyeuses voix d’enfants. J’avais dû traverser d’un bout à l’autre la grande Babylone ; mais ma mémoire n’était claire et distincte qu’à partir du moment où je frappai, un peu avant midi, à la porte de la maison de mon père, et où, montant lentement l’escalier, j’arrivai dans le salon qui servait de rendez-vous à la petite famille : car, depuis que nous étions à Londres, mon père n’avait plus de cabinet et se contentait de ce qu’il appelait son coin, coin assez grand pour contenir deux tables, une sorte de guéridon et des chaises à discrétion, le tout chargé de livres. De l’autre côté de ce vaste coin était assis mon oncle, alors presque convalescent, et il traçait, de sa rude main de soldat, quelques chiffres dans un petit carnet rouge ; car vous savez déjà que mon oncle Roland est l’homme du monde le plus méthodique dans ses dépenses.