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CHAPITRE V.

Dans le cours de ma huitième année, il se fit en moi un changement qui ne sera peut-être qu’une vieille histoire pour les parents dont tout le bonheur repose sur un fils unique. Je perdis la vivacité ordinaire à l’enfance, je devins tranquille, calme et rêveur. L’absence de camarades de mon âge, et la société d’esprits mûrs n’alternant qu’avec une solitude complète, donnèrent quelque chose de précoce soit à mon imagination, soit à ma raison. Les contes étranges que me disait ma vieille bonne pendant les soirées d’été, ou devant la cheminée en hiver, et les efforts que faisait mon intelligence pour comprendre la sagesse grave et douce des conversations de mon père, tendaient à nourrir mon goût pour la rêverie ; et alors toutes mes facultés luttaient entre elles comme dans ces rêves qu’on fait lorsqu’on ne dort plus, et que, cependant, on n’est pas encore éveillé.

J’avais appris à lire avec assez de facilité et à écrire assez couramment, et déjà je commençais à arranger des contes bizarres du genre de ceux que j’avais recueillis dans le pays des fées. Des poésies, grossièrement imitées des volumes qui me tombaient entre les mains, commençaient à défigurer les pages des cahiers à couvertures marbrées destinés aux exercices moins ambitieux de la calligraphie et de l’arithmétique.

Mon esprit était plus agité encore par la force de mes affections domestiques. Mon amour pour mes parents avait quelque chose de morbide et de douloureux. Je pleurais souvent à la pensée de ne pouvoir faire que si peu pour ceux que j’aimais tant. Mon imagination se plaisait à élever devant eux des obstacles que mon bras devait aplanir. Ces sentiments ainsi entretenus me rendirent extrêmement nerveux. La nature m’affectait avec une puissance merveilleuse, et de là naquit une curiosité inquiète, cherchant à analyser les charmes mystérieux qui me faisaient sourire de bonheur ou pleurer d’effroi.

J’obtins de mon père qu’il m’expliquerait les éléments de