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paternelles !… En voilà assez, car je vois que vous me pardonnez. Pourquoi n’allez-vous pas à l’Opéra ? Vous le pouvez, vous !

— Et vous aussi, si vous en avez envie. Un billet est horriblement cher, sans doute ; cependant, si vous aimez la musique, c’est un plaisir que vous pouvez vous permettre.

— Oh ! vous me flattez si vous vous imaginez que le désir de l’économie me retient. J’y suis entré l’autre soir, mais je n’y retournerai plus… La musique ! lorsque vous allez à l’Opéra, est-ce pour la musique ?

— En partie seulement, je l’avoue ; les lumières, les décors, le coup d’œil, m’attirent tout autant. Mais je ne pense pas que l’opéra soit un plaisir qui puisse nous être profitable, à vous et à moi. Pour des gens riches et désœuvrés, c’est peut-être un amusement aussi innocent que tout autre ; mais je trouve qu’il finit par attrister et énerver.

— Moi, tout le contraire ! quel horrible stimulant ! Caxton, savez-vous, quelque désagréable que cela puisse vous paraître, que je commence à m’impatienter de cette honorable indépendance ? À quoi cela mène-t-il ? La table, les habits, le logement ! cela me rapportera-t-il jamais plus ?

— Vivian, vous limitiez d’abord votre ambition à des gants de chevreau et un cabriolet. Vous avez déjà les gants ; vous arriverez avant peu au cabriolet.

— Nos désirs augmentent par la pâture que nous leur donnons. Vous vivez dans le grand monde ; vous y pouvez trouver de l’excitation ; moi, j’ai besoin d’excitation aussi, j’ai besoin du monde, j’ai besoin d’espace pour mon esprit ! Me comprenez-vous ?

— Parfaitement. Et je sympathise avec vous, mon pauvre Vivian ; mais tout cela viendra. Patience ! je vous ai dit ce mot quand l’aurore vous trouva si malheureux sur le pavé de Londres. Vous ne perdez pas votre temps ; vous remplissez votre esprit ; vous lisez, vous étudiez, vous vous mettez en état de satisfaire votre ambition. Pourquoi vouloir voler avant d’avoir des ailes ? Vivez dans les livres à présent ; les livres sont, après tout, des palais magnifiques ouverts à tout le monde, aux pauvres comme aux riches.

— Les livres, les livres ! Ah ! vous êtes bien le fils d’un savant. Ce n’est pas par les livres que les hommes s’avancent dans le monde et jouissent de la vie.