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jouée. Évidemment il n’était pas insensible au noble plaisir de pourvoir à son entretien par un travail louable, et de pouvoir se dire, pour la première fois, que son intelligence le faisait vivre honorablement. À travers la brume et les brouillards, il commençait à entrevoir la première lueur d’un monde nouveau.

Telle est notre vanité, à nous pauvres mortels, que mon intérêt pour Vivian s’accrut, et que mon aversion pour beaucoup de choses qui étaient en lui diminua, quand je m’aperçus que j’avais conquis une sorte d’ascendant sur sa sauvage nature. Lorsque nous nous étions rencontrés pour la première fois à l’auberge, et ensuite dans le cimetière où nous avions eu l’entretien qu’on sait, l’ascendant n’était certes pas de mon côté. Mais j’arrivais à présent d’un monde beaucoup plus élevé que celui où il avait vécu jusqu’alors. J’avais vu et entendu les hommes les plus éminents de l’Angleterre. Ce qui d’abord m’avait ébloui n’excitait plus que ma pitié. Son esprit actif ne pouvait manquer de voir le changement qui s’était opéré en moi. Soit envie, soit tout autre sentiment meilleur, il voulait bien apprendre de moi comment m’éclipser et regagner sa première supériorité ; il était vexé de ne plus m’être supérieur. Il m’écoutait donc avec docilité lorsque je lui indiquais les livres qui avaient rapport aux sujets traités dans les écrits qu’il révisait. Quoique Vivian eût l’esprit moins littéraire que les autres personnes aussi bien douées que lui, quoiqu’il eût peu lu, eu égard à l’abondance de ses idées (et l’étalage qu’il faisait de quelques ouvrages avec lesquels il s’était familiarisé en offrait la preuve la plus évidente), il se mit cependant résolûment à l’étude ; et j’augurai favorablement de sa persistance en ce qui lui semblait fastidieux à présent, mais qui devait lui être d’un grand avantage pour l’avenir. Aurais-je approuvé le but qu’il se proposait d’atteindre, si je l’avais bien connu ? c’est là une autre question. Il existait, dans sa vie passée et dans son caractère, des abîmes que je ne pouvais sonder. Il y avait en lui à la fois une franchise insouciante et une vigilante réserve. Sa franchise se manifestait dans toutes les conversations que nous avions, car il ne faisait pas le moindre effort pour paraître meilleur qu’il n’était. Sa réserve se voyait dans l’adresse avec laquelle il éludait toute espèce de confidence qui aurait pu me révéler ceux des secrets