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Pisistrate. Vous dites que le monde m’a souri ; je crains qu’il ne vous ait tenu rigueur. Je ne vous dis pas : Courage ! car vous paraissez en avoir assez ; mais je vous dis : Patience ! c’est une qualité bien plus rare.

L’étranger. Hem ! (Il m’examine attentivement.) Comment se fait-il que vous vous arrêtiez pour me parler… à moi, dont vous ne savez rien, ou pis que rien ?

Pisistrate. Parce que j’ai souvent pensé à vous ; parce que vous m’intéressez ; parce que, pardonnez-moi, je voudrais vous aider, si c’était en mon pouvoir… c’est-à-dire si vous avez besoin qu’on vous aide

L’étranger. Besoin !… je ne suis que besoin ! J’ai besoin de dormir ; j’ai besoin de manger ; j’ai besoin de cette patience que vous me recommandez, la patience de mourir de faim et de pourrir. J’ai fait le voyage de Paris à Boulogne à pied, avec douze sous dans ma poche. Sur ces douze sous j’en ai économisé quatre, avec lesquels je suis entré dans une salle de billard à Boulogne ; et j’ai gagné juste de quoi payer mon passage et acheter trois petits pains. Vous voyez qu’il ne me faut qu’un capital pour faire fortune. Si avec quatre sous je puis gagner dix francs en une nuit, que ne gagnerais-je pas avec un capital de quatre souverains et dans le cours d’une année ? C’est une application de la règle de trois que je calculerais à l’instant, si je n’avais pas si mal à la tête. Eh bien, ces trois petits pains m’ont duré trois jours ; j’ai soupé hier au soir avec la croûte du dernier. Ainsi, prenez garde de m’offrir de l’argent ; car c’est là ce que les hommes appellent venir en aide. Vous voyez que je n’aurais d’autre choix que de le prendre. Mais je vous préviens de ne pas compter sur ma reconnaissance !… je n’en ai pas.

Pisistrate. Vous n’êtes pas aussi méchant que ce portrait. Je voudrais faire pour vous, s’il est possible, quelque chose de plus que de vous prêter le peu que j’ai à vous offrir. Voulez-vous être franc avec moi ?

L’étranger. Cela dépend… Il me semble que j’ai été assez franc jusqu’à présent.

Pisistrate. C’est vrai ; aussi je poursuis sans hésiter. Ne me dites ni votre nom ni votre condition, si cette confidence ne vous convient pas ; mais dites-moi si vous avez des parents auxquels vous puissiez vous adresser… Vous secouez la