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par tout ce qu’il dit contre Ellinor ; et sa fureur contre moi fut telle, parce que je ne voulais pas partager son dépit, que nous nous querellâmes de nouveau. Nous nous séparâmes, et de longues années s’écoulèrent sans que nous nous revissions une seule fois. Soudain nous fûmes mis en possession de nos petites fortunes. Il employa la sienne, vous le savez, à acheter les vieilles ruines et une commission dans l’armée. Ç’avait été là son rêve continuel. Puis il partit courroucé. Ce petit héritage servit d’excuse à mon indolence en satisfaisant à tous mes besoins ; et lorsque mon vieux maître mourut, lorsque sa petite-fille devint ma pupille, puis, je ne sais trop comment, de ma pupille ma femme, cet héritage me permit de renoncer à ma place d’agrégé et de vivre au milieu de mes livres, tranquille comme un livre moi-même.

« Un peu avant mon mariage, il m’était venu une consolation ; et Roland m’a dit depuis que c’en avait été aussi une pour lui. Ellinor était devenue une héritière par la mort de son pauvre frère. Tous les biens de celui-ci, qui ne passèrent pas à son plus proche parent mâle, lui revinrent à elle. Cette fortune creusait entre nous un abîme presque aussi large que son mariage. Pour Ellinor, pauvre et sans dot malgré son rang, j’aurais pu travailler comme un esclave. Mais Ellinor riche ! cela m’aurait écrasé. Oui, ce fut là une consolation ! Pourtant il y avait toujours, toujours le passé ! toujours, toujours ce sentiment douloureux de savoir qu’il me manquait quelque chose qui m’avait semblé essentiel à ma vie ! Ce qui me restait, ce n’était plus de la douleur, c’était un vide ! Si j’avais vécu davantage avec les hommes et moins avec mes rêves et mes livres, j’aurais assez fortifié mon caractère pour supporter courageusement la perte d’un amour. Mais dans la solitude, nous nous recroquevillons. Nulle plante n’a, autant que l’homme, besoin d’air et de soleil. Je comprends à présent pourquoi la plupart des hommes les meilleurs et les plus sages ont vécu dans des capitales. C’est pour cela aussi que, je le répète, c’est assez d’un savant dans une famille. Confiant dans l’intégrité de votre cœur et la puissance de votre honneur, je vous ai envoyé de bonne heure dans le monde. Ai-je eu tort ? Prouvez que non, mon enfant. Savez-vous ce qu’a dit un sage ? Écoutez et suivez mes préceptes, mais ne suivez pas mon exemple !