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— Je ne vois là ni folie ni erreur, mon père ; mais seulement nature et douleur.

— Attendez un peu avant de juger ainsi. Grande était ma folie et grande aussi mon erreur de me livrer à un espoir sans fondement, d’enchaîner toute l’utilité de ma vie à la volonté d’une créature humaine. Le ciel n’a pas voulu que l’amour fût un tyran, et il ne l’est pas non plus pour la multitude des hommes. Nous autres rêveurs, amis solitaires de la science comme moi, ou demi-poëtes comme le pauvre Roland, nous faisons nous-mêmes notre malheur. Combien j’ai perdu d’années, même après que j’eus reconquis ma sérénité, et que votre mère m’eut donné une paix domestique que j’ai été si long à apprécier ! Le grand ressort de mon existence était brisé ; je ne tenais plus compte du temps. Et vous voyez que Némésis s’éveille tard dans ma vie. Je jette en arrière un regard de regret à toutes mes facultés négligées, à toutes les occasions perdues. J’ai galvanisé mon énergie, que le repos avait presque paralysée, et vous voyez que, plutôt que de croupir inutile, je me laisse entraîner dans ce que j’ose appeler les tristes folies d’un oncle Jack !… À présent que j’ai revu Ellinor, je m’écrie avec surprise : Hélas ! hélas ! toutes mes angoisses, toute ma longue torpeur, pour ces traits fatigués, pour cet esprit mondain ! Il en est toujours ainsi dans la vie. À chaque pas que nous faisons vers la tombe, les choses mortelles se flétrissent de plus en plus, et les choses immortelles reprennent une nouvelle vigueur !… Ah ! continua mon père en soupirant, il en eût été autrement si, à votre âge, j’avais connu le secret du sachet de safran ! »


CHAPITRE IX.

« Et Roland, demandai-je, comment prit-il la chose ?

— Avec toute l’indignation d’un homme orgueilleux et déraisonnable. Il s’indignait plus pour moi que pour lui-même, le bon frère ! Aussi me blessa-t-il et m’irrita-t-il