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ancienne, mais tombée. Il existait cependant entre nous cette différence qu’il avait des parents dans le grand monde, et que moi je n’en avais pas. Sa principale ressource pécuniaire consistait, comme chez moi, dans son traitement d’agrégé de collège. Trévanion s’était fait une grande réputation à l’université, mais moins comme savant, quoiqu’il le fût réellement, que comme un homme qui devait faire son chemin. Toutes ses facultés étaient énergiques. Il visait à tout, perdait quelquefois, et quelquefois gagnait. Il était le principal orateur d’une société discutante et membre d’un club politico-économique. C’était un parleur sempiternel, brillant, élégant, paradoxal, fleuri, différent de ce qu’il est aujourd’hui. Car, redoutant les effets de l’imagination, toute sa carrière, depuis cette époque, n’a été qu’un long effort pour la dompter. Son esprit s’attachait à ce que, nous autres Anglais, nous appelons le solide ; c’était un esprit qui s’étendait, non pas, ma chère Kitty, comme une grande baleine qui nage à travers la science pour le plaisir de faire du chemin, mais comme un polype qui développe toutes ses palpes afin d’attraper quelque chose.

« Au sortir de l’université, Trévanion était allé tout droit à Londres. Sa réputation et sa faconde éblouirent justement tous ses amis, qui firent un effort et le poussèrent au parlement. Il parla, il réussit. Puis il arriva à Compton dans la fleur de sa réputation vierge. Je ne puis vous donner une idée, à vous qui connaissez le Trévanion d’à présent avec son visage fatigué, ses manières brusques et sèches, ce Trévanion à qui ses luttes perpétuelles dans l’arène politique n’ont laissé que la peau et les os, je ne puis vous donner une idée de ce qu’il était au moment où il fit son premier pas dans la carrière de la vie.

« Voyez-vous, mes auditeurs, vous devez vous rappeler que nous, gens d’âge mûr, nous étions jeunes alors, c’est-à-dire que nous différions de ce que nous sommes maintenant, autant que la branche verte diffère du bois sec dont on fait un bateau ou un montant de porte. L’homme, ainsi que le bois, ne peut servir aux usages de la vie que lorsque les feuilles vertes sont tombées et que la sève est tarie. Et alors les usages de la vie nous transforment en d’étranges choses qui ont d’autres noms : l’arbre n’est plus un arbre, c’est une porte ou un bateau ; le jeune homme n’est plus un jeune homme,