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CHAPITRE VI.

Dans lequel mon père continue son histoire.

« Il n’est pas de création, de type, de symbole mystique, pas d’invention poétique contenant un sens caché, secret, incompréhensible, qui n’aient été représentés par le genre féminin, dit mon père, la main tout à fait ensevelie sous son gilet. L’inscrutable Sphinx, la Chimère et Isis, dont nul homme n’a soulevé le voile, sont des femmes, oui, Kitty ! Proserpine était une femme, elle qui devait être toujours dans le ciel ou dans l’enfer ; et Hécate aussi, qui n’était pas la nuit ce qu’elle était le jour. Les Sibylles étaient femmes, ainsi que les Gorgones, les Harpies, les Furies, les Parques et les Valkyries, les Nornies des Teutons, et Héla elle-même ; bref, toutes les représentations d’idées obscures, inscrutables et sinistres, sont des noms féminins. »

Dieu bénisse mon père ! Augustin Caxton était redevenu lui-même. Je commençais à craindre que son histoire ne lui eût échappé au milieu de ce labyrinthe d’érudition. Mais heureusement, lorsqu’il s’arrêta pour reprendre haleine, son regard tomba sur les yeux bleus et limpides de ma mère, sur son front si ouvert et si pur, qui n’avait certainement rien de commun avec les Sphinx, les Chimères, les Parques, les Furies ou les Valkyries. Je ne sais si son cœur l’accusa, ou si sa raison lui fit reconnaître qu’il était tombé dans une série d’idées défectueuses et vicieuses ; mais son front s’éclaircit, et il reprit avec un sourire :

« Ellinor était la personne du monde la moins capable de tromper quelqu’un volontairement. Nous trompait-elle, Roland et moi, parce que nous nous imaginions, sans être des fats pour cela, que, si nous avions osé lui parler d’amour franchement, nous ne l’eussions pas osé en vain ? ou bien pensez-vous, Kitty, qu’une femme puisse réellement aimer, pas beau-