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heureuse. Voici ce M. Caxton, dont votre frère nous parlait si souvent. »

« Bref, mon cher Pisistrate, la glace était rompue, la connaissance faite, et lord Rainsforth, après avoir dit qu’il venait réparer le tort qu’avait causé sa longue absence, et qu’il résiderait à Compton la plus grande partie de l’année, me pressa de lui faire visite. Je me rendis à son invitation. L’amitié de lord Rainsforth pour moi s’accrut ; j’allai le voir souvent. »

Mon père s’arrêta, et, voyant que ma mère tenait ses regards attachés sur lui avec une sorte de mélancolique ardeur, et que ses mains étaient jointes très-étroitement, il se pencha vers elle et lui baisa le front.

« Pourquoi me regarder ainsi, mon enfant ? » lui dit-il.

C’est la seule fois que je l’aie entendu donner à ma mère ce nom d’amour paternel. Mais jamais non plus je ne lui avais remarqué cette voix grave et solennelle ! Et puis, pas la moindre citation ; c’était à n’y pas croire. Ce n’était plus mon père qui parlait, c’était un autre homme.

« Oui, j’allai le voir souvent. Lord Rainsforth était un homme remarquable. Une timidité sans aucun orgueil (chose rare), et un grand amour pour des travaux littéraires et tranquilles, l’avaient empêché d’aborder la vie politique à laquelle le destinait sa naissance ; mais sa réputation de sagesse et de loyauté et sa popularité lui avaient donné, je crois, une grande influence jusque dans la formation des cabinets ; et l’on avait une fois obtenu de lui d’accepter une haute position diplomatique à l’étranger. Je pense qu’il y avait été aussi malheureux que doit l’être tout honnête homme dans cette position. Il s’estimait donc heureux de se retirer du monde, et de ne plus le voir qu’à travers les fenêtres de sa retraite. Lord Rainsforth faisait grand cas du talent, et s’intéressait chaudement aux jeunes gens qui lui paraissaient en avoir. C’était par les talents, et par des talents supérieurs, que sa famille s’était élevée. Un de ses ancêtres, le premier lord de ce nom, avait été un jurisconsulte éminent ; son père s’était distingué par ses travaux scientifiques ; ses enfants, Ellinor et lord Pendarvis, continuaient dignement la famille, qui se confondait ainsi avec l’aristocratie de l’intelligence, et semblait ne pas songer aux titres qui lui donnaient place parmi