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marcher, de regarder autour de moi, et d’échapper à ma solitude, et de mettre à nu mon âme, et de voir ce qui m’avait ainsi troublé et effrayé ; car le trouble et l’effroi s’étaient emparés de moi. Et ma mère, qui (Dieu la bénisse !) est toujours curieuse de tout ce qui concerne son cher Anachronisme, l’était particulièrement ce soir-là. Elle me fit dire où j’étais allé, et ce que j’avais fait, et comment j’avais passé mon temps. Et Fanny Trévanion (qu’elle avait vue deux ou trois fois, et qu’elle regardait comme la plus jolie personne du monde), oh ! elle voulut savoir exactement ce que je pensais de Fanny Trévanion !

Pendant tout ce temps, mon père semblait plongé dans ses réflexions. Un bras passé par-dessus le fauteuil de ma mère, et une main dans les siennes, je lui répondais, parfois en hésitant, parfois avec un violent effort de volubilité, quand, à une question qui me fit tressaillir le cœur, je me retournai péniblement, et rencontrai les regards de mon père fixés sur les miens ; mais fixés comme ils l’avaient été ce jour où, sans que personne sût pourquoi, j’avais été si affligé et si abattu en lui entendant dire de moi : Il faut qu’il aille à l’école. Ils étaient fixés sur moi avec une tendresse calme et vigilante. Ah ! ses pensées n’avaient pas roulé sur son grand ouvrage. Non ; il avait scruté intimement les pages d’un livre moins important, et pour lequel il éprouvait un amour paternel plus fort encore que celui de l’écrivain. Je rencontrai son regard et fus aussitôt porté à me jeter sur son cœur, et à lui tout dire. Lui dire quoi ? Je ne le savais pas plus, madame, que je ne sais ce qu’était cette chose noire qui m’a si fort tracassé toute cette soirée.

« Pisistrate, dit mon père avec douceur, je crains que vous n’ayez oublié le sachet de safran.

— Non, vraiment, répondis-je en souriant.

— Celui qui porte le sachet de safran a l’esprit plus gai et plus tranquille que vous, mon pauvre garçon.

— Mon cher Austin, j’espère que son esprit n’est pas dérangé, » dit ma mère avec inquiétude.

Mon père secoua la tête, et fit ensuite deux ou trois tours dans la chambre.

« Faut-il sonner pour de la lumière ? Il fait sombre, et vous voudrez lire.