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crois, du docteur Kippis, « il avait amoncelé tant de livres sur le sommet de sa tête, que son cerveau en était réduit à l’immobilité. » Mais l’électricité venait de pénétrer dans son cœur, et la vigueur nouvelle de ce noble organe avait rendu le mouvement au cerveau. Cependant je laisse mon père à ces influences et aux interminables conversations de l’oncle Jack, pour en revenir à moi-même.

Grâce à M. Trévanion, mes habitudes n’étaient pas de celles qui favorisent les amitiés avec les oisifs ; mais je fis la connaissance de quelques jeunes gens un peu plus âgés que moi, qui occupaient des positions inférieures dans les administrations, ou qui se destinaient au barreau. Ce n’était pas manque d’habileté chez ces jeunes gens, mais ils ne s’abandonnaient pas encore entièrement au triste prosaïsme de la vie. Leurs heures de travail ne les disposaient qu’à mieux jouir des heures de récréation. Et lorsque nous étions réunis, quelle troupe légère et joyeuse nous faisions !

Nous n’avions jamais assez d’argent pour nous lancer dans des extravagances, ni assez de loisirs pour nous trop dissiper, mais cela ne nous empêchait pas de nous amuser. Mes nouveaux amis étaient d’une érudition merveilleuse pour tout ce qui avait rapport aux théâtres. Depuis l’opéra jusqu’au ballet, depuis Hamlet jusqu’au dernier vaudeville français, ils savaient sur le bout des doigts de leurs gants jaune-paille toute la littérature de la scène. Ils connaissaient beaucoup les acteurs et les actrices, et étaient de parfaits petits Walpole pour la chronique scandaleuse du jour. Mais rendons-leur justice entière. Ils n’étaient pas indifférents à une science plus sérieuse, nécessaire en ce monde méchant. Ils parlaient aussi familièrement des vrais acteurs de la vie que des acteurs de la scène. Ils réglaient parfaitement les prétentions rivales des hommes d’État querelleurs. Ils ne se vantaient pas d’être bien au courant des mystères des cabinets étrangers (à l’exception d’un de ces jeunes gens, employé au Foreign-Office, lequel se faisait gloire de savoir exactement ce que les Russes feraient de l’Inde, lorsqu’ils l’auraient conquise !) ; mais, en revanche, la plupart avaient pénétré les secrets les plus intimes de notre cabinet. Il est vrai que, s’étant convenablement partagé ce travail, chacun avait pris un membre du gouvernement pour but spécial de ses observations, comme ces très-habiles chirurgiens