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pour son majestueux salut, elle lui offrit l’autre main restée libre, avec un regard qui l’attira sur-le-champ à côté d’elle. Ce fut de la part de Roland une désertion de son drapeau dont rien n’approche dans l’histoire, si ce n’est la conduite de Ney, lorsque Napoléon revint de l’île d’Elbe. Puis, sans attendre d’être présentée, et avant qu’un mot eût été prononcé, lady Ellinor vint à ma mère, si cordialement et d’une manière si caressante, elle mit dans son sourire, dans sa voix, dans sa conduite, une si séduisante douceur, que moi, qui connaissais intimement le cœur simple et aimant de ma mère, je m’étonnai de voir qu’elle ne se jetait pas au cou de lady Ellinor pour la couvrir de baisers. Il lui fallut sans doute lutter terriblement pour résister à l’envie de le faire. Mon tour vint ensuite. Ce qu’elle me dit, et ce qu’elle dit de moi, eurent bientôt mis tout le monde à l’aise, du moins en apparence.

Je ne puis me rappeler le sujet de la conversation ; je ne pense pas qu’aucun de nous le pût : mais une heure s’écoula, et, pendant tout ce temps, il n’y eut point de silence embarrassant.

Je comparai lady Ellinor à ma mère avec un intérêt plein de curiosité, et par un examen que je m’efforçai de rendre impartial. Je compris la fascination que la grande dame avait dû exercer, à l’époque de leur première jeunesse, sur deux frères si différents l’un de l’autre. Car le charme était ce qui caractérisait lady Ellinor, un charme indéfinissable. Ce n’était pas seulement la grâce d’une éducation raffinée, quoique cette grâce y fût pour beaucoup ; c’était un charme qui paraissait avoir sa source dans une sympathie naturelle. Quelle que fût la personne à qui elle s’adressait, celle-ci semblait occuper pour le moment toute son attention, intéresser tout son esprit. Elle avait un talent de conversation tout particulier. Ce qu’elle disait était comme la continuation de ce qu’on lui avait dit. Elle semblait être entrée dans vos pensées et les exposer tout haut. Évidemment son intelligence était cultivée avec un grand soin, mais il n’y avait pas en elle une ombre de pédantisme. Un demi-mot, une allusion, suffisaient pour faire voir son instruction à une personne instruite, sans mortifier ni embarrasser les ignorants. Oui, de toutes les femmes que mon père avait rencontrées, c’était là probablement la seule qui pût être la compagne de son esprit, qui pût se promener avec lui