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pour le voir sortir. Il descendit l’escalier en boitant. Je me reculai dans l’ombre ; et, après s’être arrêté un instant indécis, il entra résolûment dans le salon du buffet.

Or, depuis que j’en étais sorti, il s’était rempli de monde et je m’y glissai inaperçu. C’était un spectacle étrange, grotesque, mais touchant, de voir ce vieux soldat au milieu de cet essaim joyeux. Il dépassait de la tête tous les autres, comme un des héros d’Homère ; et son extérieur était si remarquable qu’il attira l’attention des dames. Je crus, dans ma simplicité, que c’était la tendresse naturelle à ce sexe aimable et pénétrant, toujours prompt à deviner les souffrances et désireux de les soulager, qui portait trois dames en robe de soie, l’une en chapeau à plumes, les deux autres en cheveux longs et bouclés, à quitter un petit cercle de messieurs avec lesquels elles s’entretenaient, pour venir se planter devant mon oncle. Je me fis jour à travers la foule afin d’entendre ce qui se disait.

« Vous cherchez quelqu’un, j’en suis sûre, » dit familièrement l’une d’elles en lui touchant le bras avec son éventail. Le capitaine tressaillit.

« Ne puis-je remplacer ce quelqu’un ? demanda avec une douceur céleste un autre de ces anges compatissants.

— Vous êtes bien bonne, je vous remercie ; non, non, madame, répondit le capitaine en saluant respectueusement.

— Prenons un verre de négus, dit la troisième, lorsque l’autre lui eut fait place. Vous paraissez fatigué, et je le suis aussi. Venez par ici. »

Et elle le prit par le bras pour le conduire vers une table. Le capitaine secoua tristement la tête ; puis, comme s’il venait de s’apercevoir tout à coup du genre d’attention qu’on lui prodiguait, il regarda ces belles Armides avec un air si doux de reproche et de pitié, sans même repousser la main qui s’était emparée de lui (car son dévouement chevaleresque pour les dames s’étendait jusqu’à celles qui ont perdu tous les droits qu’elles auraient pu y avoir), que tous ces regards effrontés se baissèrent. Cette main lâcha timidement et machinalement son bras, et mon oncle passa son chemin. Il traversa la foule et franchit le seuil de la dernière porte. Moi, qui avais deviné son intention, j’étais déjà à l’attendre dans la rue.

« Enfin, Dieu merci ! il va rentrer, » pensai-je. Je me trompais