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semblait très-sérieux ou très-naïf, suivant le caractère de ses auditeurs.

Il est superflu d’observer que je n’allai pas à l’école, du moins à ce que M. Squills entendait par ce mot, d’aussi bonne heure qu’on avait eu le dessein de m’y envoyer. Le fait est que ma mère arrangea tout si bien, la chambre de ma nourrice fut, au moyen de doubles portes, si parfaitement isolée, que mon père put jouir, quand cela lui plaisait, du privilège d’oublier mon existence.

Pourtant un jour elle lui fut vaguement rappelée à l’occasion de mon baptême. Or, mon père était un homme timide, qui détestait particulièrement toutes les cérémonies où l’on se donne en spectacle au public. Ce fut donc avec inquiétude qu’il s’aperçut de l’approche d’une grande fête dans laquelle il pouvait être appelé à jouer un grand rôle. Malgré l’abstraction où il était plongé et qui le rendait sourd parfois fort à propos, il avait entendu quelques chuchotements sur ce qu’il fallait « profiter du séjour de l’évêque dans le voisinage, » et sur « la nécessité absolue de se procurer douze verres de gelée, » pour être certain qu’il se préparait quelque ennuyeuse solennité. Et lorsqu’on lui parla de parrain et de marraine, en lui disant que c’était une belle occasion de répondre aux civilités des voisins, il sentit qu’il ne lui restait plus à faire qu’une chose, une vigoureuse tentative d’évasion.

Ayant donc entendu, sans avoir paru écouter, la date du jour fixé, et vu, sans avoir regardé, qu’on avait enlevé les housses des fauteuils de perse du salon (ma chère mère était la femme la plus soigneuse du monde), mon père découvrit soudain qu’il y avait, à vingt milles de chez nous, une vente de livres rares qui devait durer quatre jours, et à laquelle il lui fallait absolument assister.

Ma mère poussa un soupir, mais elle n’osait jamais contredire mon père, même lorsqu’il était dans son tort, comme c’était assurément le cas en cette circonstance. Elle se contenta d’observer timidement qu’elle craignait que cela ne parût bizarre et que le monde n’interprétât mal l’absence de mon père. Elle ajouta :

« Ne vaudrait-il pas mieux différer le baptême ?

Ma chère, répondit mon père, bientôt j’aurai à faire de ce garçon un chrétien, et c’est un devoir qui ne se remplit