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sa malicieuse petite tête. On dit que mon père est un admirable connaisseur ; mais il n’achète de tableaux que par un sentiment de devoir… pour encourager nos peintres. Une toile une fois achetée, je ne suis pas sûre qu’il la regarde de nouveau !

— Alors, qu’est-ce donc ?… »

Je m’arrêtai court, car je sentais que la question qui errait sur mes lèvres était inconvenante.

« Qu’est-ce donc qu’il aime, alliez-vous demander ? Eh bien ! je connais mon père depuis que je peux connaître quelque chose ; mais je n’ai pas encore découvert ce qu’il aime. Non, il n’aime pas même la politique, quoiqu’il ne vive que pour elle. Vous paraissez surpris. J’espère que vous le connaîtrez mieux un jour, mais vous n’approfondirez jamais ce mystère ; vous ne saurez jamais ce qu’aime M. Trévanion.

— Vous vous trompez, dit lady Ellinor, qui nous avait suivis sans que nous l’eussions entendue ; je puis vous dire ce que votre père fait plus qu’aimer, ce qu’il révère, ce qui est l’objet constant des efforts de sa noble existence : la justice, la bienfaisance, l’honneur et sa patrie. Celui qui aime cela se fait pardonner son indifférence pour le géranium le plus nouveau, pour la dernière charrue, et même (quoique ceci puisse vous blesser davantage, Fanny) pour le dernier chef-d’œuvre de Landseer ou la dernière mode qu’honore Mlle Trévanion.

— Maman ! » s’écria Fanny, dont les yeux se remplirent de larmes.

Mais lady Ellinor me parut sublime tandis qu’elle s’exprimait ainsi ; ses yeux étincelaient, sa poitrine se soulevait. La femme prenant le parti du mari contre l’enfant, et comprenant si bien ce que l’enfant ne sentait pas malgré l’expérience de chaque jour, et ce que le monde ne connaîtra jamais malgré toute sa vigilance pour découvrir des vertus ou des défauts, c’était, à mon avis, un tableau plus beau que tous ceux de la collection.

Sa figure s’adoucit lorsqu’elle vit des larmes dans les beaux yeux de Fanny, qui étaient de la couleur d’une noisette mûre ; elle lui tendit sa main, que l’enfant baisa avec tendresse en murmurant : « Ce n’est pas à mes paroles étourdies qu’il faut faire attention, maman ; sans cela vous aurez toutes les minutes quelque chose à me pardonner. » Et Mlle Trévanion sortit de l’appartement.