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un énorme tas de lettres et de journaux, se jeta dans un fauteuil et parut oublier complètement mon existence.

La dame resta un moment dans une surprise muette, et je la vis changer de couleur, du pâle au rouge et du rouge au pâle, avant de s’avancer vers moi avec la grâce enchanteresse d’une bienveillance non affectée. Elle m’indiqua un fauteuil à côté du sien, et me demanda si cordialement des nouvelles de mon père, de mon oncle, de toute ma famille, qu’en moins de cinq minutes je me sentis comme chez moi. Lady Ellinor écouta en souriant mes naïfs détails ; mais je la vis aussi essuyer quelques larmes qui étaient venues mouiller ses yeux. Enfin elle me dit :

« N’avez-vous jamais entendu votre père parler de moi… je veux dire de nous, des Trévanion ?

— Jamais, répondis-je aussitôt ; le contraire m’eût étonné, car vous savez que mon père n’est pas grand parleur.

— Ah !… il était très-vif dans le temps où je l’ai connu, » dit lady Ellinor, qui détourna la tête et poussa un soupir. En ce moment entra une jeune fille, si fraîche, si belle, si aimable, que toute autre pensée me sortit aussitôt de la tête. Elle entra en chantant, gaie comme un oiseau, et mes yeux qui l’adoraient déjà crurent voir une fille de l’air. « Fanny, dit lady Ellinor, allez serrer la main à M. Caxton, le fils d’un ami que je n’ai pas vu depuis longtemps, lorsque j’avais un peu plus que votre âge, mais que je me rappelle comme si c’était hier. »

Mlle Fanny rougit et sourit, et me tendit la main avec une aisance pleine de cordialité que je m’efforçai vainement d’imiter. Durant le déjeuner, M. Trévanion continua de lire ses lettres et de parcourir ses journaux en s’écriant : « Bah ! » ou bien : « Quel fatras ! » dans les intervalles où il avalait machinalement son thé et quelques petites bouchées de rôtie. Puis, se levant avec la brusquerie qui caractérisait ses mouvements, il resta quelques instants debout devant la cheminée, enseveli dans ses réflexions. Alors que son front n’était plus caché par un chapeau à larges bords, et que la vivacité de son premier mouvement jointe au calme de son attitude subséquente attirait mon attention et ma curiosité, j’étais plus que jamais honteux de ma méprise. Sa figure était fatiguée, vive et pourtant rêveuse ; ses yeux étaient enfoncés et son