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lence, nous suivîmes son cours sous des châtaigniers humides et des tilleuls touffus, et bientôt nous apparut sur la rive opposée le château, édifice moderne en pierres blanches, orné du plus beau portique corinthien que j’aie vu dans ce pays.

« Une belle résidence, en vérité ! m’écriai-je. M. Trévanion y est-il souvent ?

— Oui, oui. Je ne veux pas dire qu’il s’absente tout à fait ; mais ce n’est pas comme de mon temps, où les Hogton restaient ici toute l’année dans leur chaude maison… pas celle-ci ! »

Bonne vieille ! « Et ces pauvres Hogton sont bannis, pensai-je ; odieux parvenu, va ! » Je fus content lorsqu’un détour nous cacha la maison neuve, dont nous approchions pourtant toujours. La fameuse cascade, dont j’entendais depuis quelque temps le mugissement, s’offrit enfin à notre vue.

Au milieu des Alpes, une pareille chute d’eau aurait été insignifiante ; mais dans ce domaine soigné, où l’on ne rencontrait pas de point de vue plus hardi, son effet était frappant et même grandiose. Le lit était étroit et le ruisseau comprimé entre ses rives ; des rochers placés là, les uns par la nature, les autres par l’art, donnaient à ces rives un aspect sauvage, et le courant tombait d’une hauteur considérable dans un bassin que mon guide dit être d’une profondeur mortelle.

« Un fou franchit le ruisseau d’un bond à l’endroit où vous êtes, dit la vieille. Il y a eu de cela deux ans en juin dernier.

— Un fou ! m’écriai-je en mesurant d’un œil expérimenté, grâce au gymnase de l’institut hellénique, l’étroit espace qui séparait les deux rives. Mais, ma bonne dame, on peut faire ce saut sans être un fou ! »

À ces mots, par une de ces impulsions qu’on aurait tort d’attribuer à un noble courage, je reculai de quelques pas et franchis l’abîme. Mais lorsque de l’autre bord je regardai la distance, et vis qu’un faux pas eût causé ma mort, je me sentis fort troublé, et je n’aurais pas recommencé ce saut quand même il se fût agi de devenir seigneur de ce domaine.

« Et comment retourner ? demandai-je d’une voix émue à la vieille qui me regardait ébahie de l’autre bord. Ah ! je vois un pont là-bas !