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CHAPITRE VI.

Le Savoyard me regardait fixement. Je désirais entrer en conversation avec lui. Ce n’était pas facile. Néanmoins, je commençai.

Pisistrate. « Vous devez souvent avoir bien faim, mon pauvre garçon. Est-ce que les souris vous font vivre ? »

Le Savoyard penche la tête d’un côté, la secoue et caresse ses souris.

Pisistrate. « Vous aimez beaucoup les souris ; je crains que vous n’ayez pas d’autre ami. »

Le Savoyard, qui a visiblement compris Pisistrate, baise tendrement les souris, puis les pose doucement sur la tombe et exécute un air de vielle. Les souris jouent tranquillement sur la tombe.

Pisistrate, montrant d’abord les bêtes, puis l’instrument : « Qu’est-ce que vous aimez le mieux, les souris ou la vielle ? »

Le Savoyard montre ses dents en souriant, réfléchit, s’étend sur l’herbe, joue avec les souris, et se met à parler avec volubilité.

Pisistrate, comprenant avec le secours du latin ce que dit le Savoyard, que les souris sont vivantes et que la vielle ne l’est pas, observe : « Oui, un ami vivant vaut mieux qu’un ami mort. Mortua est viella. »

Le Savoyard secoue vivement la tête. No, no, Eccellenza, non è morta ! et se met à jouer un air joyeux sur l’instrument calomnié. La figure du Savoyard s’illumine… il paraît heureux. Les souris quittent le tertre funèbre et se réfugient dans son sein.

Pisistrate ému lui demande en latin : « Avez-vous un père ? »

Le Savoyard répond avec tristesse : No, Eccelenza ! Puis, après un instant de silence, il reprend vivement : Si, si ! et joue sur sa vielle un air grave, s’arrête, pose une main sur son instrument et élève l’autre vers le ciel.