Page:Bulwer-Lytton - Aventures de Pisistrate Caxton.djvu/117

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

imaginez que nous sommes tous menés par les bosses de nos crânes.

— Et par le sang de nos veines et le lait de nos mères. Nous héritons autre chose encore que la goutte et la phthisie. Ainsi vous faites toujours ce que vous dit votre père ? Le bon enfant ! »

J’étais piqué. Je n’ai jamais pu comprendre pourquoi nous sommes honteux de l’épithète de bon ; mais le fait est que je me sentais humilié. Cependant je répondis hardiment :

« Si vous aviez un aussi bon père que moi, vous ne trouveriez pas aussi singulier de suivre ses conseils.

— Ah ! c’est donc un bien bon père ! Il faut qu’il ait une grande confiance en votre sagesse et votre bonne conduite pour vous laisser errer de la sorte par le monde !

— Je vais le rejoindre à Londres.

— À Londres ! Ah ! est-ce là qu’il demeure ?

— Il va y faire un assez long séjour.

— Alors nous nous reverrons peut-être. Moi aussi, je vais à Londres.

— Oh ! nous nous reverrons certainement ! » m’écriai-je avec une joie véritable ; car la conversation du jeune homme n’avait pas diminué la sympathie qu’il m’inspirait, quoique les sentiments qu’il exprimait me déplussent. Il se mit à rire, et son rire avait quelque chose de particulier : il était doux et musical, mais faux et artificiel.

« Nous reverrons-nous bien certainement ? Londres est grand. Où vous trouvera-t-on ? »

Je lui donnai sans scrupule l’adresse de l’hôtel où j’espérais trouver mon père, quoique son inspection délibérée de mon havre-sac eût déjà dû la lui faire connaître. Il l’écouta attentivement et la répéta deux fois, comme pour la graver dans sa mémoire. Puis nous nous promenâmes en silence jusqu’à ce que, au détour d’une étroite ruelle, nous nous trouvâmes tout à coup dans un grand cimetière que traversait diagonalement un sentier dallé, menant à la place du marché. Dans ce cimetière, sur une pierre tumulaire, était assis un petit Savoyard. Sa vielle, ou quel que soit le nom de son instrument, était sur ses genoux. Il grignotait une croûte de pain qu’il partageait avec quelques pauvres petites souris blanches accroupies sur la vielle, d’un air aussi content que s’il avait choisi le lieu de repos le plus agréable du monde.