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drupèdes à l’état sauvage, jusqu’au premier degré après l’homme, c’est-à-dire par le croisement de race, vous pouvez élever les parias de l’humanité, aujourd’hui objets de votre pitié et de votre dédain, au rang de nations pleines de puissance et de majesté.

Mais lorsque mon père pénétrait dans la moelle de son sujet ; lorsque, abandonnant ces discussions préliminaires, il tombait sur la prétendue sagesse des sages ; lorsqu’il s’attaquait à la civilisation elle-même, à ses écoles, à ses portiques, à ses académies ; lorsqu’il mettait à nu les absurdités cachées dans les collèges des Égyptiens et les symposia des Grecs ; lorsqu’il prouvait que, même dans la métaphysique, cet objet favori de leurs études, les Grecs n’étaient que des enfants, et que les Romains n’étaient que des visionnaires et des maladroits dans leur politique pratique ; lorsque, suivant le cours de l’erreur à travers le moyen âge, il citait les puérilités d’Agrippa, les crudités de Cardan, et passait avec son calme sourire dans les salons des beaux esprits bavards de Paris au XVIIIe siècle, oh ! alors son ironie était celle de Lucien adoucie par l’aimable esprit d’Érasme. Car même alors la satire de mon père n’empruntait rien à la froide école méphistophélique.

C’est de ces archives de l’erreur qu’il faisait sortir les grandes époques de la vérité. Il prouvait que les hommes sérieux ne pensent jamais en vain, bien qu’ils puissent se tromper dans leurs pensées. Il prouvait que la succession des siècles forme de vastes cycles où l’esprit humain marche sans cesse, pareil à l’Océan qui recule ici pour avancer plus loin. Il prouvait que des rêveries des Grecs était sortie la vraie philosophie, que des institutions des Romains était né tout système de gouvernement durable ; que des robustes folies du Nord étaient issues la glorieuse chevalerie, les délicatesses de l’honneur moderne et les douces et sympathiques influences de la femme. Il faisait descendre nos Sydney et nos Bayard des Hengist, des Genséric et des Attila. Rempli de curieuses et naïves anecdotes, d’exemples originaux et de cette science raffinée qui donne à un goût cultivé le poli le plus brillant, ce livre amusait, séduisait et charmait. L’érudition y perdait son pédantisme pour revêtir tantôt la simplicité de Montaigne, tantôt la pénétration de La Bruyère. Mon père semblait avoir vécu dans tous les temps dont il parlait, et ces temps