Page:Bulwer-Lytton - Alice ou les mystères.pdf/94

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le cœur maternel par sa bonté pour les enfants, oublia toutes les injonctions de son mari, et consentit volontiers à étiqueter les lots, et à en écrire les numéros sur des petits carrés de papier, soigneusement pliés. On tira du salon un grand vase indien, dont on fit l’urne du destin, on y déposa les billets. Cécile était en train de bander avec un mouchoir les yeux d’Éveline, tandis que l’espiègle Fortune cherchait à n’être pas aussi aveugle qu’elle aurait dû l’être, et les enfants, assis en cercle sur l’herbe, étaient dans tout le feu de leur joie et de leur attente, lorsque… il se fit soudain un silence complet : les éclats de rire s’arrêtèrent, et les petites mains de Cécile aussi. Qu’était-ce donc ? Éveline écarta le bandeau, et ses regards tombèrent sur Maltravers !

« Mais, en vérité, ma chère miss Cameron, je me demande quel nouveau tour pourront vous faire subir ces petites filles, dit le recteur, qui se trouvait à côté de l’intrus, que du reste il venait lui-même d’amener en ce lieu.

— C’est moi plutôt qui devrais être leur victime, dit Maltravers avec bonhomie : les fées punissent toujours les mortels qui ont passé l’adolescence quand ils violent le sanctuaire de leurs réjouissances. »

Tandis qu’il parlait, ses yeux, les yeux les plus éloquents du monde, s’arrêtèrent sur Éveline (qui, pour cacher sa rougeur, avait pris Cécile entre ses bras, en ayant l’air de ne pas s’occuper d’autre chose) avec un regard plein de cette admiration et de ce ravissement qu’on pourrait attribuer, en effet, à un mortel contemplant quelque adorable fée.

Sophie, avec la hardiesse d’un enfant qui n’est pas timide, COurut vers lui.

« Bonjour, monsieur, bégaya-t-elle, en levant vers lui son visage, afin qu’il l’embrassât ; comment se porte le joli paon ? »

Cette hardiesse opportune servit sur-le-champ à renouer le charme qui avait été rompu, elle établit un lien entre l’étranger et les enfants. En un instant la connaissance était invoquée et reconnue. Un moment après Maltravers faisait partie du cercle ; il s’assit sur la pelouse au milieu des enfants, aussi gai qu’eux, et presque aussi bruyant, cet homme raide et fier, si dédaigneux des bagatelles de ce monde !

« Mais il faut que ce monsieur ait un lot, aussi bien que les autres, dit Sophie fière de son nouvel et grand ami. Quel est votre petit nom ? Pourquoi avez-vous donc un nom si long et si difficile ?