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C’était d’ailleurs un orgueil d’un genre tout particulier qui ne s’attachait à aucun point spécial, ni au talent, ni au savoir, ni aux dons intellectuels ; encore moins aux vulgaires lieux communs de la naissance et de la fortune. C’était plutôt le résultat d’un mépris suprême et général pour tous les autres hommes et les mobiles de leurs actions, pour l’ambition, pour la gloire, pour les arides affaires de la vie. Sa vertu de prédilection était le courage moral ; et c’était cette vertu qu’il estimait surtout en lui, maintenant. Il était fier de ses luttes contre les autres, plus fier encore de ses victoires contre ses passions. Il regardait le sort comme le grand ennemi dont on devrait toujours se préparer à repousser les coups. Il se croyait armé de toutes pièces contre le destin. Dans l’arrogance de son cœur, il disait : Je puis défier l’avenir ! Il avait foi dans l’assertion vaniteuse de ce vieux sage orgueilleux qui disait : Le monde c’est moi ! À la vérité, dans l’orageuse carrière qu’avaient fournie les dernières années de sa virilité, il n’avait pas poussé sa philosophie jusqu’à proscrire le monde ordinaire. La douleur que lui avait causée la mort de Florence avait cédé peu à peu au temps et à l’éloignement, et il avait quitté les déserts de l’Afrique et de l’Orient, pour les brillantes capitales de l’Europe. Mais jamais plus ni son cœur, ni sa raison n’avaient subi le joug des passions. Jamais plus il n’avait connu la douceur de l’affection. S’il en eût été autrement, la glace se serait fondue, et la source aurait de nouveau débordé pour venir inonder les abîmes de son cœur. Il était revenu en Angleterre ; il savait à peine pourquoi, ou dans quel but. Ce n’était certes pas avec l’idée de reprendre les occupations de la vie active, c’était peut-être seulement par lassitude des contrées étrangères et des langues peu familières à son oreille. Ou peut-être était-ce le désir vague et inquiet d’un changement de lieux qui l’avait ramené dans sa patrie. Mais il ne s’avouait pas à lui-même que la cause de son retour fût si peu philosophique ; et, chose étrange, il ne voulait pas non plus s’avouer qu’il eût un autre motif plus humain et peut-être plus vrai : l’âge et les infirmités croissantes de son vieux tuteur Cleveland, qui le suppliait affectueusement de revenir. Maltravers n’aimait pas à se croire le cœur encore si tendre. Singulier orgueil ! Non ; il cherchait plutôt à se persuader qu’il avait l’intention de vendre Burleigh, d’arranger définitivement ses affaires, et puis de quitter à jamais son pays natal. Pour se prouver à