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CHAPITRE XIII

Et, couché dans la prairie, je puis t’écouter encore ; t’écouter jusqu’à ce que mon souvenir ressuscite cet âge d’or.
(Wordsworth.)

Il était minuit passé. Les hôtes du cottage s’étaient retirés ; tout dormait, lorsque la porte de lady Vargrave s’ouvrit doucement. La dame elle-même était agenouillée au pied de son lit ; les rideaux à demi tirés laissaient pénétrer les rayons de la lune ; et à cette pâle clarté, les traits de lady Vargrave paraissaient plus pâles et plus calmes encore que de coutume.

Éveline, car c’était elle, s’arrêta sur le seuil, jusqu’à ce que sa mère eût achevé ses prières ; alors elle se jeta sur le sein de lady Vargrave, et se mit à sangloter, comme si son cœur allait se briser ; elle éprouvait les émotions ardentes, généreuses, irrésistibles qui appartiennent à la jeunesse. Peut-être lady Vargrave les avait-elle connues jadis ; au moins elle savait encore les comprendre.

Elle pressa son enfant contre son cœur ; elle écarta les cheveux qui couvraient son front, le baisa avec tendresse, et lui adressa de douces paroles de consolation.

« Mère, dit Éveline en sanglotant, je ne pouvais dormir, je ne pouvais reposer. Bénissez-moi, embrassez-moi encore une fois. Dites-moi que vous m’aimez !… vous ne pouvez m’aimer comme je vous aime ; mais dites-moi que je vous suis chère, dites-moi que vous me regretterez… mais pas trop !… dites-moi… »

Ici Éveline s’arrêta, et n’en put dire davantage.

« Ma bonne, ma tendre Éveline, dit lady Vargrave, il n’y a rien au monde que j’aime autant que vous : ne croyez pas que je sois ingrate.

— Ingrate ! pourquoi dites-vous ingrate ?… Votre enfant, votre unique enfant ! »

Et Éveline couvrait avec véhémence le visage et les mains de sa mère de larmes et de baisers.