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ma mère voulait m’en récompenser seulement par un sourire d’approbation !

— Mon enfant, dit le pasteur d’un air grave, un vieillard juge mal des sentiments de la jeunesse ; pourtant, dans cette affaire, je crois que votre devoir est clair. Ne vous montrez pas résolûment contraire aux prétentions de lord Vargrave ; ne vous persuadez pas que vous serez malheureuse en vous unissant à lui. Calmez votre esprit, réfléchissez sérieusement à l’alternative qui se présente à vous, refusez toute décision pour le moment, jusqu’à ce que le temps fixé soit venu, ou du moins jusqu’à ce qu’il soit proche. En attendant, il paraît que lord Vargrave ira fréquemment chez mistress Merton ; là vous le verrez avec d’autres hommes ; son naturel se dévoilera. Étudiez ses principes, son caractère ; examinez bien si vous pouvez l’estimer et le rendre heureux : il peut y avoir un amour sans enthousiasme, qui suffise pourtant au bonheur domestique et aux affections. Puis insensiblement d’autres vous apprendront certains traits de son caractère qu’il ne nous montre pas. Si le temps et ce examen ont pour résultat de vous faire obéir, sans répugnance, aux volontés dernières du feu lord, ce sera, indubitablement, l’alternative la plus heureuse. Sinon, dans le cas où votre cœur se montrerait encore rebelle à des vœux qui vous inspirent en ce moment tant de répulsion, il sera également hors de doute qu’en toute sûreté de conscience vous serez libre. Les meilleurs d’entre nous sont mauvais juges du bonheur des autres. Dans les questions d’où dépend soit le bonheur, soit le malheur de toute l’existence, il faut se décider soi-même. Votre bienfaiteur ne pouvait vouloir que vous fussiez malheureuse, et si maintenant, les yeux dessillés des brouillards de ce monde, il vous regarde du haut des cieux, son âme approuvera votre choix. Car lorsque nous quittons cette terre, toute ambition temporelle meurt avec nous. Que sont aujourd’hui, pour l’âme immortelle, ce titre et ce rang que, sur la terre, avec les convoitises de la terre, votre bienfaiteur voulait assurer à sa fille adoptive ? Tel est mon avis. Envisagez les choses sous leur aspect le plus favorable, et attendez avec calme l’heure où lord Vargrave viendra réclamer votre décision. »

Les paroles du prêtre, qui définissaient si bien le devoir d’Éveline, lui apportèrent d’inexprimables consolations ; et elle reçut avec reconnaissance et respect les conseils rela-