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il fut décidé qu’on dînerait à ***, d’où lord Vargrave se dirigerait sur Londres. Ne pouvant réussir à obtenir du hasard une seconde entrevue avec Éveline, et n’osant la prier de lui en accorder une, car il sentait que le terrain était glissant, lord Vargrave, irrité et un peu humilié, chercha, selon son habitude, quelque distraction qui se trouvât à sa portée. Dans la conversation de Caroline Merton, fine, mondaine, ambitieuse, il rencontra le passe-temps qu’il cherchait. Ils se trouvèrent continuellement ensemble ; mais ces relations paraissaient n’offrir aucun danger, du moins pour Vargrave ; peut-être son but principal était-il de piquer la jalousie d’Éveline, aussi bien que d’exhaler lui-même son dépit.

C’était le soir, la veille du départ d’Éveline ; depuis une heure les hôtes du cottage étaient dispersés. Mistress Merton était dans sa chambre, se donnant l’occupation gratuite et inutile de regarder sa femme de chambre emballer ses effets. C’était précisément le genre de tâche qui lui plaisait. Être assise dans un grand fauteuil, voir travailler une autre personne, et dire languissamment : — « Ne chiffonnez pas cette écharpe, Jeanne, » et : « Où mettrons-nous le chapeau bleu de miss Caroline ? » — tout cela lui donnait une opinion très-réconfortante de son importance et de ses habitudes laborieuses, une espèce de titre à surveiller l’administration d’une famille, à être en toute vérité la femme d’un recteur. Caroline avait disparu, lord Vargrave aussi. Mais On supposait que la première était auprès d’Éveline, et que le second était occupé à écrire des lettres ; du moins ils en étaient là, quand on les avait perdus de vue. Mistress Leslie était seule dans le salon, plongée dans les réflexions inquiètes et bienveillantes que faisait naître la position critique de sa jeune favorite, sur le point d’entrer dans un âge et dans un monde dont mistress Leslie avait encore les dangers présents à la pensée.

Ce fut en ce moment qu’Éveline, oubliant lord Vargrave et ses prétentions, oubliant tout le monde et toutes choses, hormis le chagrin que lui causait son prochain départ, se trouva seule dans le petit berceau qu’on avait élevé sur la falaise pour y jouir de la vue de la mer qui en battait le pied. Toute la journée elle avait été inquiète, troublée. Elle avait visité tous les lieux consacrés par ses jeunes souvenirs ; elle s’était arrêtée avec un tendre regret dans chaque endroit où elle avait eu de doux entretiens avec sa mère. D’une nature