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nous la jurisprudence, la médecine, l’assassinat militaire ; à nous les louanges railleuses qu’on appelle gloire, puis le plaisir de voir à quel point ce vice charmant qu’on appelle la mendicité est général parmi les riches et les puissants, privilége qu’on appelle orgueilleusement des noms de « patronage et de pouvoir. » Est-ce à nous qu’on peut donner le gai titre d’hommes amusants, selon votre expression ? Oh ! non, tout notre enjouement n’est que de la gaîté forcée, croyez-le bien. Miss Cameron, avez-vous jamais connu cette atroce espèce d’affection nerveuse qu’on appelle « la gaîté forcée ? » Jamais, j’en suis sûr ; votre sourire ingénu, vos yeux riants, sont les indices d’un cœur plein de joie et d’espérance.

— Et moi ? demanda Caroline vivement, et en rougissant un peu.

— Vous, miss Merton ? Ah ! je n’ai pas encore déchiffré votre moral : une belle page, mais en caractères inconnus. Cependant vous avez vu le monde, et vous savez qu’il nous faut quelquefois porter un masque. »

En disant ces mots lord Vargrave soupira, et retomba soudain dans le silence ; puis, levant les yeux, il rencontra le regard de Caroline qui était fixé sur lui ; ce regard le flatta. Caroline détourna la tête, et parut fort occupée d’un rosier qui se trouvait là. Lumley cueillit une rose, et la lui présenta. Éveline les avait devancés de quelques pas.

« Cette rose n’a point d’épines, dit-il ; puisse cette offrande être un augure ! Vous êtes maintenant l’amie d’Éveline ; oh ! soyez la mienne aussi. Elle va demeurer sous votre toit, daignez plaider pour moi.

— Pouvez-vous avoir besoin d’avocat, vous ? dit Caroline, dont la voix tremblait légèrement.

— Charmante miss Merton, l’amour est craintif et défiant ; mais il doit dès à présent trouver une voix, qu’Éveline écoutera peut-être favorablement. Ce que je ne dis pas… puisse l’éloquence de ma nouvelle amie y suppléer ! »

Il s’inclina légèrement, et rejoignit Éveline. Caroline avait compris son allusion, et s’en revint seule et pensive à la maison.

« Miss Cameron… Éveline ! ah ! permettez que je vous donne encore ce nom, comme aux jours heureux et plus familiers de votre enfance ! je voudrais que vous pussiez lire dans mon cœur en cet instant. Vous allez quitter le toit maternel ; de nouvelles images vont vous environner, de