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L’argent destiné à l’acquisition de Lisle Court, que M. Douce avait été si impatient de tenir entre ses griffes, n’aurait pas suffi pour empêcher la banqueroute ; mais il n’en fallait pas tant pour lui procurer les moyens de vivre fort à son aise. Douce était bien inférieur en esprit, en finesse, en stratagèmes à Vargrave ; et pourtant Douce l’avait trompé comme un enfant. Ce petit malin de philosophe français avait bien raison : « On peut être plus fin qu’un autre, mais pas plus fin que tous les autres. »

Maltravers retrouva Legard à Douvres, et lui annonça la ruine de la fortune d’Éveline ; et son affection pour Legard s’accrut, lorsqu’il vit que, loin d’ébranler son amour, cette perte importante semblait plutôt ranimer ses espérances. Ils se séparèrent, et Legard partit pour Paris.

Mais, pendant tout ce temps, n’allez pas croire que Maltravers oubliât Alice. Il n’était pas depuis douze heures à Londres, qu’il lui avait confié sans détour, dans une longue lettre, toutes ses pensées, toutes ses espérances, toute l’expression de sa reconnaissance profonde et pleine d’admiration. Il la conjura de nouveau, solennellement, d’accepter sa main, et de confirmer à l’autel le récit qu’il avait fait à Éveline. Il lui dit avec sincérité que le saisissement que lui avait d’abord causé le mensonge de Vargrave, que son énergique résolution d’effacer toute trace d’un amour alors associé à l’horreur d’un crime ; puis, que la découverte qu’il avait faite si peu de temps après de la constance et de l’amour d’Alice, que tout cela avait détrôné l’image d’Éveline de la place que jusque-là elle avait occupée dans ses pensées et ses désirs. Il lui dit, avec vérité, qu’il était maintenant convaincu qu’Éveline serait bientôt consolée de l’avoir perdu, par un autre, avec qui elle serait plus heureuse qu’elle ne l’eût été avec lui. Il déclara solennellement que, si Alice devait continuer à le repousser, que, si même elle devait disparaître du monde, ses prétentions à la main d’Éveline ne pourraient jamais se renouveler, et que la mémoire d’Alice posséderait à jamais la place de tout autre amour.

La réponse d’Alice arriva ; elle lui perça le cœur. Elle était si humble ; si reconnaissante, si tendre toujours ! À son insu l’amour colorait chaque mot de sa lettre ; mais c’était l’amour blessé, humilié, froissé, étouffé : c’était l’amour puisant sa fierté dans sa pureté et sa profondeur mêmes. Alice refusait son offre.

Plusieurs mois s’écoulèrent ; Maltravers comptait sur le