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passa le bras dans celui de son secrétaire, et se retira dans l’embrasure de la fenêtre la plus éloignée. Une minute ne s’était pas écoulée avant qu’il se retournât avec un air triomphant et ironique.

« Monsieur Howard, dit-il, allez-vous reposer et revenez me trouver à minuit ce soir, je serai chez moi à cette heure-là. »

Le secrétaire salua et se retira.

« Maintenant, monsieur, dit Vargrave à Maltravers, je veux bien vous laisser en possession du champ de bataille. Miss Cameron, je crains qu’il ne me soit désormais impossible de conserver les belles espérances que j’avais conçues ; mon cruel destin m’oblige à chercher la fortune dans une alliance matrimoniale. J’ai le regret de vous informer que vous n’êtes plus la grande héritière. Tous vos capitaux étaient placés entre les mains de M. Douce, pour compléter l’acquisition de Lisle Court. M. Douce a fait banqueroute ; il s’est sauvé en Amérique. Cette lettre est une dépêche de mon notaire ; la maison Douce a suspendu ses paiements ; peut-être cependant nous est-il permis d’espérer encore six pence[1] par livre. Moi aussi je perds de l’argent ; le dédit que m’a légué mon oncle est englouti. Je ne sais trop si, en qualité de votre tuteur, je ne suis pas responsable de la perte de votre fortune (retirée des fonds publics d’après mes ordres) ; c’est probable. Mais comme je n’ai plus maintenant un shilling au monde, je doute que M. Maltravers vous conseille de m’intenter un procès. Monsieur Maltravers, demain, à neuf heures, j’écouterai ce que vous avez à me dire. Je vous souhaite à tous le bonsoir ! »

Il salua, saisit son chapeau, et disparut.

« Éveline, dit Aubrey, avez-vous besoin d’en apprendre davantage ? Ne sentez-vous pas déjà que vous êtes dégagée de toute promesse vis-à-vis d’un homme sans cœur et sans honneur ?

— Oui, oui ! je suis si heureuse ! s’écria Éveline en fondant en larmes. Cette fortune détestée, je n’en regrette pas la perte !… je suis dégagée de tout devoir envers mon bienfaiteur. Je suis libre ! »

Le dernier lien qui avait uni la coupable Caroline à Vargrave était brisé ; une femme pardonne bien des fautes à son amant, mais jamais une bassesse. La position ignominieuse, abjecte, dans laquelle elle avait vu celui qu’elle avait servi

  1. 0 fr. 60 c.