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qu’il en soit, il épousa Alice, et Aubrey solennisa et bénit cette froide et stérile union.

Mais bientôt vint une nouvelle et indicible affliction. L’enfant d’Alice ne s’était rétablie que pour un moment. La fatale maladie n’avait pas fait grâce à sa proie ; elle revint avec une force rapide et subite ; un mois ne s’était pas écoulé depuis le jour où Alice était devenue la femme de Templeton, lorsque sa dernière espérance s’envola, et la pauvre mère se trouva sans enfant !

Après un premier moment de consternation sympathique, le banquier ne déplora pas très-vivement le coup qui la frappait si cruellement. Maintenant sa fille à lui serait l’unique souci d’Alice, maintenant la médisance ne s’étonnerait pas que, dans sa vie comme après sa mort, il donnât la préférence à un enfant qui n’était pas censé le sien, plutôt qu’à l’autre.

Il se hâta d’éloigner Alice du théâtre de son affliction. Il renvoya la seule servante qui l’eût accompagnée dans son voyage. Il emmena sa femme à Londres, et se fixa définitivement, comme nous l’avons vu, dans une villa des environs de la capitale. Là, son affection se concentra de plus en plus chaque jour sur la fille supposée de mistress Templeton, sa chérie, son héritière, la belle Éveline Cameron.

Pendant les premières années, Templeton manifesta des tendances alarmantes à violer le serment qu’il s’était imposé ; mais, au moindre symptôme, il y avait une inflexible fermeté chez sa femme, en toute autre circonstance si respectueuse et si soumise, qui le retenait, et lui en imposait. Elle le menaça même (et une fois il eut de la peine à l’empêcher de mettre à exécution sa menace) de quitter son toit à tout jamais, s’il mettait le moins du monde en doute la sainteté de son serment. Templeton trembla ; une séparation pareille éveillerait les commérages, la curiosité, la médisance, la rumeur publique, et entraînerait peut-être à des révélations. D’ailleurs Alice était nécessaire à Éveline ; elle lui était également nécessaire à lui-même, à son bien-être ; il lui était agréable d’avoir quelqu’un à gronder quand il se portait bien, quelqu’un sur qui compter quand il était malade. Il se soumit donc, par degrés, mais en maugréant, à son sort ; et à mesure que ses années et ses infirmités s’accumulaient, il se contenta de s’être assuré du moins une amie fidèle, et une garde-malade pleine de sollicitude. Pourtant un mariage de ce genre ne pouvait être heureux.