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Leslie d’approcher. Dans un tiroir se trouvaient des vêtements de femme soigneusement pliés ; c’étaient des hardes humbles, grossières, déguenillées ; le costume d’une paysanne.

« Ces objets ne vous rappellent-ils pas votre première charité envers moi ? dit-elle d’un accent touchant. Ils me disent que je n’ai rien de commun avec le monde où vous et les vôtres, et Éveline elle-même, vous devez vivre toutes.

— Votre conscience est par trop scrupuleuse ! vos fautes n’ont été que celles des circonstances, et de votre jeunesse. Vous les avez bien rachetées ! Personne ne connaît votre passé, sauf le bon vieil Aubrey et moi. Pas un souffle défavorable ne ternit le nom de lady Vargrave.

— Mistress Leslie, dit lady Vargrave, qui referma le tiroir et vint se rasseoir, mon univers est autour de moi ; je ne puis le quitter. Si je pouvais être utile à Éveline, alors je sacrifierais, je braverais tout ; mais je ne sers qu’à l’attrister : je ne suis pas à même de lui donner des conseils, d’étendre ses connaissances. Lorsqu’elle était enfant, je pouvais veiller sur elle ; lorsqu’elle était malade, je pouvais la soigner. Mais à présent il lui faudrait un guide, quelqu’un qui la conseillât, et je sens trop bien que cette tâche est au-dessus de mes capacités. Moi, servir de guide à la jeunesse, à l’innocence ! Moi ! non, je n’ai rien à lui Offrir, chère enfant ! sauf mon amour et mes prières ! Que votre fille l’emmène donc, qu’elle veille sur elle, qu’elle lui serve de guide et de conseil. Pour ma part, quelque insensible, quelque ingrat que cela puisse paraître, je suis capable de rester seule, pourvu qu’Éveline soit heureuse !

— Mais elle !… Comment Éveline, qui vous aime si tendrement, se soumettra-t-elle à cette séparation ?

— Elle ne sera pas de longue durée, et puis, ajouta lady Vargrave, avec un sourire sérieux mais doux, il vaut mieux qu’elle se prépare d’avance à cette séparation qui doit avoir lieu un jour. À mesure que chaque année recule insensiblement ma dernière espérance de le revoir un jour, lui, je sens que ma vie devient aussi de jour en jour plus faible, et je regarde de plus en plus ce tranquille cimetière comme le port où je vais bientôt rentrer. Dans tous les cas, Éveline devra nécessairement former de nouveaux liens qui l’éloigneront forcément de moi ; il vaut mieux qu’elle s’habitue maintenant, et par degrés, à se passer d’une personne qui lui est inutile, à elle aussi bien qu’au monde.