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la fille de la veuve, des yeux qui étaient loin d’être ceux de l’esprit. À l’âge de quatorze ans, elle le charmait déjà, mais lorsqu’il eut vu mûrir et se développer sa beauté trois années de plus encore, M. Templeton s’en trouva passionnément épris. Marie était en effet fort jolie ; son caractère était doux et bon, mais son éducation plus que négligée. Aux habitudes frivoles et mesquines d’un monde de second ordre, qui lui avaient été inculquées jusqu’à la mort de son père, avaient succédé le charlatanisme, la servilité basse, les pratiques intolérantes d’une superstition transcendante. Dans un changement si brusque et si violent, tout le caractère de la pauvre fille fut ébranlé. Avec des principes incertains, vagues, informes, son intelligence, naturellement médiocre et même faible, se cramponna à la première planche de salut qui lui fut tendue dans « ce vaste océan de cire » où « elle se trouvait arrêtée. » Habituée de bonne heure à placer une confiance implicite dans les avis de M. Templeton, enlaçant autour de lui ses croyances, comme la vigne enlace le chêne de ses rameaux, elle cédait à son ascendant, et se sentait heureuse de ses manières protectrices et presque caressantes. Nul confesseur monacal ne fut jamais en Italie plus dangereux à la vertu des villageoises que ne le fut Richard Templeton (qui s’estimait l’archétype du seul Protestantisme pur) aux mœurs et au cœur de Marie Westbrook.

La santé de mistress Westbrook avait été prématurément ébranlée par une longue participation aux excès de la dissipation de Londres, et par le revers de fortune dont elle n’avait pu se consoler : car son esprit en avait conservé plus d’aigreur que d’humilité. Elle mourut lorsque Marie avait dix-huit ans, et Templeton devint le seul ami, le seul consolateur, le seul soutien de sa fille.

Dans une heure funeste (espérons que ce ne fut pas une infamie préméditée), une heure où le cœur de l’une était attendri par la douleur et la reconnaissance, et la conscience de l’autre assoupie par la passion, Templeton triompha de la vertu de Marie Westbrook. Le chagrin et les remords de Marie, les reproches que la conscience de Templeton lui adressa au réveil, et sa crainte d’être démasqué, lui causèrent les regrets les plus amers et les plus poignants. Mistress Westbrook avait eu à son service une jeune femme qui l’avait quittée pour se marier, peu de temps avant la mort de la veuve. Le mari de cette femme la maltraitait, et heureuse de lui échapper et de témoigner sa reconnaissance