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horreur. Les lèvres s’agitèrent, mais sans articuler aucun son, et l’âme qui avait brisé ses chaînes parla à celle que la terre retenait captive encore.

« Retourne dans ton pays natal, dit-elle, retourne dans tes foyers. N’abandonne pas à des mains étrangères tout ce qui te reste de celle qui t’a donné le jour, et qui veille encore sur toi ; tu retrouveras ton bon Ange au seuil de ta demeure ! »

La voix se tut. Par un effort violent Maltravers rompit l’enchantement qui retenait sa parole. Il jeta un cri, et le rêve s’évanouit. Il était complétement éveillé : ses cheveux étaient dressés sur sa tête : une sueur froide mouillait son front. Le misérable lit sur lequel il était couché était placé en face de la fenêtre, et la lune d’hiver jetait sa lueur pâle et spectrale dans la chambre triste et nue. Mais entre lui et la lumière il lui sembla qu’il y avait un objet, une ombre, la figure qu’avait revêtue le portrait dans son rêve, le fantôme qui avait interpellé et glacé son âme. Il s’élança les bras tendus.

« Ma mère ! même dans la tombe peux-tu venir ainsi bénir ton malheureux fils ? Oh ! ne me quitte pas… ne me dis pas que… »

L’illusion se dissipa, et Maltravers tomba sans connaissance.

Lorsque, à la lumière plus salubre du jour, Maltravers repassa dans son esprit ce rêve mémorable, il chercha longtemps en vain à se convaincre que les rêves n’ont besoin d’aucun ministère du ciel ou de l’enfer pour peupler de fantômes menteurs les sentiers du sommeil ; que l’effet de ce rêve même sur ses nerfs ébranlés et son imagination surexcitée était le seul et véritable évocateur du spectre qu’il avait cru voir en s’éveillant. Sa raison fut lente à gagner la victoire et à désavouer l’empire d’une imagination en désordre. Et lorsqu’il se fut enfin malgré lui convaincu, ce rêve l’obsédait encore, et il ne pouvait réussir à le chasser de son esprit. Il attendit avec impatience la nuit suivante ; elle arriva, mais elle ne lui apporta ni rêve, mi sommeil ; toute la nuit le vent hurla, et la pluie battit contre les vitres de sa chambre. Une autre nuit vint ; la lune brillait comme auparavant, et il tomba dans un profond sommeil ; mais nulle vision ne vint troubler ou sanctifier ce sommeil. Il s’éveilla, honteux de son attente. Toutefois cet événement, à défaut d’autres, en donnant une nouvelle direction à ses pensées, avait ranimé et soulagé son âme, et le fardeau de la dou-