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thousiasme qui inspire les actes les plus insensés, comme les actes les plus sublimes, qui fait ou des dupes ou des martyrs, de cet enthousiasme qui entraîne à l’abnégation complète de soi-même, au sacrifice de toutes choses par un zèle brûlant pour les autres, Éveline consentit à être la femme de Vargrave. Elle ne sentit pas d’abord son sacrifice ; elle ne sentit que l’ardeur d’un noble esprit, que l’approbation de sa conscience. Ainsi, et seulement ainsi, elle obéissait à ses deux devoirs : le devoir, auquel elle avait failli manquer, envers son bienfaiteur mort ; et le devoir envers sa mère vivante. Bientôt après vint une terrible réaction, puis enfin cette résignation passive, léthargique, qui n’est autre chose que le désespoir sous un nom plus doux. Oui ! c’était là le sort auquel elle avait été inexorablement prédestinée ! En vain elle avait cherché à le fuir ! le destin l’avait ressaisie, il fallait se soumettre à son arrêt !

Elle était impatiente qu’on transmît sur-le-champ à Maltravers la nouvelle des liens nouveaux qu’elle allait contracter. Vargrave le lui promit, mais prit soin de ne pas tenir parole. Il était trop fin pour ne pas savoir que ces démarches précipitées feraient trop bien apercevoir les motifs d’Éveline, et que sa conduite à lui paraîtrait manquer de délicatesse et de générosité. Il voulait que Maltravers ne sût rien, jusqu’à ce que la chaîne indissoluble fût rivée. N’osant quitter Éveline, même pour un jour, n’osant courir les risques d’une entrevue entre elle et sa mère s’il la ramenait en Angleterre, il resta à Paris et hâta tous les préparatifs du mariage. Il envoya chercher Douce, qui vint en personne, apportant les actes nécessaires à la conversion de l’argent pour l’acquisition de Lisle Court, acquisition qui devait se conclure immédiatement. L’argent devait être placé dans la maison de banque de M. Douce, jusqu’à ce que les hommes d’affaires eussent complété leurs opérations ; et dans quelques semaines, lorsque Éveline aurait atteint l’âge voulu, Vargrave espérait se voir maître, et de la fiancée, et des terres héréditaires de l’infortuné Maltravers. Il se garda bien de dire à Éveline quel était le propriétaire actuel du domaine qui allait prochainement lui appartenir ; il prévoyait les objections qu’elle opposerait à cette acquisition, et, du reste, elle était hors d’état de parler de ces choses-là, ou même d’y penser. Elle ne demanda qu’une faveur qui lui fut accordée : qu’on la laissât tranquille dans sa solitude jusqu’au jour fatal. Enfermée seule dans sa chambre