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les dernières années d’une mère qui vous chérit avec tant de tendresse !

On devinera sans peine avec quels sentiments d’étonnement, de compassion, d’épouvante, Éveline écouta cette histoire, dont le récit fut souvent interrompu par ses exclamations et ses sanglots. Elle voulait écrire sur-le-champ à sa mère, à Maltravers. Oh ! avec quelle joie elle renoncerait à ce dernier ! Comme elle promettait volontiers de se réjouir d’un abandon qui devait rendre le bonheur à cette mère si tendrement aimée !

« Non, dit Vargrave, votre mère ne doit pas savoir que le mystérieux objet de son premier amour est ce Maltravers dont l’hommage a été si récemment adressé à sa propre fille, jusqu’à ce qu’elle puisse l’apprendre de sa bouche, jusqu’à ce que cette révélation puisse lui être adoucie par les protestations d’une affection renaissante. Une pareille découverte ne blesserait-elle pas son orgueil, ne détruirait-elle pas toute espérance en son cœur ? Comment pourrait-elle alors consentir au sacrifice que Maltravers est disposé à lui faire. Non ! ce n’est que lorsque vous appartiendrez à un autre, ce n’est (pour me servir des paroles de Maltravers) que lorsque vous serez une épouse heureuse et aimée, que votre mère devra recevoir l’hommage de Maltravers ; alors seulement elle pourra savoir à qui cet hommage a été récemment adressé ; alors seulement Maltravers se sentira le droit d’accomplir l’expiation qu’il médite. Il veut bien se sacrifier lui-même, mais il tremble à la pensée de vous sacrifier, vous ! Ne dites rien à votre mère, jusqu’à ce que vous appreniez de ses lèvres qu’elle sait tout ! »

Éveline pouvait-elle hésiter ? Éveline pouvait-elle douter ? Calmer les craintes, exaucer les prières de l’homme dont la conduite lui paraissait si généreuse ; le rendre à la paix et au monde ; par-dessus tout, arracher du cœur de cette mère tendre et bien-aimée le trait envenimé ; jeter encore dans sa vie quelques années de bonheur, la réunir à l’amant tant pleuré : quel sacrifice était trop grand pour un tel prix ?

Ah ! pourquoi Legard était-il absent ? Pourquoi le croyait-elle capricieux, léger, perfide ? Pourquoi avait-elle banni de son âme ses plus tendres pensées ? Mais lui, le véritable amant, il était loin, et son amour fidèle était inconnu, tandis que Vargrave, le serpent vigilant, était toujours là.

Dans une heure fatale, et dans le transport de cet en-