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Peut-être son père soupçonna-t-il le rang de son amant, et trembla-t-il pour l’honneur de sa fille. C’était un singulier homme que ce père, et je ne connais pas bien son vrai caractère, ni ses motifs véritables. Mais soudain il éloigna sa fille, afin de la soustraire aux assiduités et aux recherches de son amant ; ils ne se revirent plus, et son amant la pleura pour morte. Plus tard votre mère fut contrainte par Son père d’épouser M. Cameron, et resta veuve avec une unique enfant : c’était vous. Elle était pauvre, très-pauvre ! et dans son amour pour vous, dans son anxiété pour votre avenir, elle se décida enfin à prêter l’oreille aux propositions de mon oncle ; pour assurer votre sort, elle se remaria ; puis la mort vint encore trancher ce lien. Mais toujours, constamment et fidèlement, elle avait conservé la mémoire de ce premier amour, dont le souvenir avait assombri et empoisonné son existence ; et toujours elle vivait de l’espoir de revoir un jour le bien-aimé perdu. À la fin, et tout récemment, le hasard me fit découvrir que l’objet de cet indomptable amour vivait encore, qu’il était encore libre de sa main, sinon de son cœur. Vous voyez en la personne d’Ernest Maltravers l’amant de votre mère ! Il m’échut la tâche ingrate et pénible d’apprendre à Maltravers que lady Vargrave n’était autre que l’Alice tant aimée dans son adolescence ! de lui prouver que son amour résigné et patient ne s’était jamais démenti ; de le convaincre que la seule espérance qui lui restât au monde était celle de le revoir une fois encore. Vous connaissez Maltravers ; vous connaissez son caractère élevé, sensible et noble ; il recula d’horreur à la pensée de faire de son amour pour la fille la dernière et la plus amère douleur de la mère, de cette femme qu’il avait tant aimée. Puis, sachant combien votre mère vous est chère, il frémit en pensant au chagrin, aux remords que vous éprouveriez en découvrant de qui vous aviez été la rivale, et quelles étaient les espérances, quels étaient les rêves que votre fatale beauté avait anéantis. Torturé, désespéré, la raison presque égarée, il a fui sa funeste passion, et maintenant il cherche à l’étouffer dans la solitude. Touché de la douleur et des regrets de la bien-aimée de sa jeunesse, il a l’intention, aussitôt qu’il vous verra rendue au bonheur et à la paix, d’aller retrouver votre mère pour consacrer tout son avenir à l’accomplissement de ses serments d’autrefois. C’est de vous, de vous seule qu’il dépend de rendre Maltravers au monde, de vous seule qu’il dépend de combler de bonheur