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nocent, de la nature, et se réjouirait-elle de vous donner le nom de « père ». D’heureuses années vous sont encore réservées.

Maltravers n’écoutait point ces vaines et vides consolations. La tête penchée sur sa poitrine, tout son être affaissé sur lui-même, les joues sillonnées de grosses larmes, qui coulaient inaperçues, il offrait l’image d’un homme brisé, anéanti, désespéré, que le destin ne pourra jamais relever. Celui qui pendant tant d’années s’était retranché dans son orgueil, qui portait gravé sur son front le triomphe sur les passions et le malheur, dont les pas avaient foulé la terre de l’allure royale d’un conquérant, celui-là était, en ce moment, plus humilié, plus accablé, plus soumis que le dernier esclave qui rampe sur le sol ! Celui qui avait regardé avec des yeux pleins d’orgueil les infirmités des autres, qui avait dédaigné de servir ses semblables à cause de leurs folies humaines et de leurs petites faiblesses, lui, lui-même, le pharisien du génie, ne devait qu’à un hasard, qu’à la main de l’homme dont il se défiait et qu’il méprisait, d’échapper à un crime qui fait frémir la nature, que toute loi sociale et divine stigmatise parce qu’il ne se peut expier, dont les païens eux-mêmes ont fait la plus épouvantable catastrophe qui puisse terrasser la sagesse et l’orgueil des mortels ! Encore un pas de plus, et l’Œdipe de la Fable n’eût pas inspiré plus d’horreur que lui !

Des pensées de ce genre, informes, confuses, mais assez fortes pour le courber dans la poussière, traversèrent l’esprit de cet infortuné. Il avait éprouvé de grandes douleurs, il avait connu peu de joies ; des souvenirs douloureux et amers avaient consumé sa jeunesse, mais l’orgueil lui était resté ! et il avait osé dire, dans le secret de son cœur : « Je puis défier le sort ! » Maintenant la foudre était tombée, son orgueil était réduit en poudre ; l’humiliation était sa compagne ; la honte s’était emparée de son âme terrassée. L’avenir ne lui réservait pas une espérance. Il ne lui restait plus qu’à mourir !

Lord Vargrave le regardait avec un chagrin réel et une compassion vraie, car sa nature, quoique fourbe, artificieuse, perfide, n’avait de cruauté que ce qu’il en fallait apporter à l’exécution inexorable de ses desseins. Nulle compassion ne l’aurait détourné d’un but ; mais il était assez homme encore pour être sensible à la pitié, même en faveur de ses victimes. À la fin Maltravers releva la tête, et