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blâme. Le coupable a souffert plus qu’il ne fallait pour expier son crime ! Vous condamnez mon amour pour Éveline. Pardonnez-moi ; je n’ai ni séduit son affection, ni rompu aucun lien. Ce ne fut que lorsqu’elle se trouva libre de disposer de son cœur et de sa main, lorsqu’elle put choisir entre nous deux, que j’osai lui parler d’amour. Laissez-moi penser qu’il se trouvera quelque moyen d’adoucir, en partie du moins, un désappointement qui doit assurément vous paraître fort amer.

— Arrêtez ! s’écria lord Vargrave (qui, plongé dans une sombre rêverie, avait semblé écouter à peine les dernières paroles de son rival) ; arrêtez, Maltravers. Ne parlez pas d’amour à Éveline ! Un horrible pressentiment me dit que, dans quelques heures d’ici, vous aimeriez mieux arracher votre langue jusqu’à la racine que d’associer des paroles d’amour à la pensée de cette malheureuse enfant ! Oh ! si j’étais vindicatif, quel triomphe épouvantable m’attendrait maintenant ! Quelle vengeance de vos injustes jugements, de votre froid mépris, de votre victoire misérable et momentanée sur moi ! Le ciel m’est témoin que le seul sentiment que j’éprouve est celui de l’épouvante, de la douleur ! Maltravers, dans votre première jeunesse avez-vous eu des relations avec une personne qu’on appelait Alice Darvil ?

— Alice !… Ciel ! que voulez-vous dire ?

— N’avez-vous jamais su que le nom de baptême de la mère d’Éveline est Alice ?

— Je ne l’ai jamais demandé… je ne l’ai jamais su. Mais c’est un nom si ordinaire, balbutia Maltravers.

— Écoutez-moi, reprit Vargrave : vous avez vécu avec Alice Darvil dans le voisinage de ***, n’est-ce pas ?

— Continuez, continuez !

— Vous aviez pris le nom de Butler. Ce fut sous ce nom-là qu’Alice Darvil fut plus tard connue dans la ville où demeurait mon oncle (il y a dans cette histoire des lacunes que je ne suis pas en état de combler) ; elle y enseignait la musique ; mon oncle en devint amoureux ; mais il était orgueilleux, et jaloux de l’opinion du monde. Alice se rendit dans le Devonshire, et mon oncle l’y épousa sous le nom de Cameron, nom par lequel il espérait cacher au monde l’obscurité de son origine et l’humble profession qu’elle avait exercée. Silence ! ne m’interrompez pas ; Alice avait une fille qu’on supposait être le fruit d’un premier mariage ; cette fille était l’enfant de celui dont elle portait le nom ;