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était point habituelles ; et comme s’il souhaitait d’éviter toute explication inutile, il entama de suite l’entretien, avec une solennité marquée dans la voix et dans l’aspect.

« Maltravers, dit-il, depuis quelques années il y a eu de la froideur entre nous. Je n’ai pas la prétention de vous imposer vos amitiés et vos aversions. Vous seul pouvez savoir d’où provenait cet éloignement. Quant à moi, ma conscience ne me reproche rien ; ce que j’étais, je le suis encore. C’est vous qui avez changé. Que ce soit à cause de la différence de nos opinions politiques, ou par une autre raison plus cachée, je n’en sais rien. Je le déplore, mais il est maintenant trop tard pour chercher à y remédier. Si vous me soupçonnez d’avoir jamais essayé, ou même souhaité de semer la discorde entre vous et ma malheureuse cousine, morte maintenant, vous vous trompez. J’ai toujours cherché votre bonheur et votre union à tous deux. Et pourtant, Maltravers, vous détruisiez alors un rêve chéri, que je nourrissais depuis longtemps. Mais je souffris en silence ; ma conduite fut au moins désintéressée ; peut-être fut-elle généreuse. Soit, n’en parlons plus. Une seconde fois je vous retrouve sur mon chemin ; vous m’enlevez un cœur que depuis longtemps je m’étais accoutumé à considérer comme mon bien. Vous n’êtes arrêté par aucun scrupule d’ancienne amitié, par aucun respect pour des liens sacrés et reconnus. Vous êtes mon rival auprès d’Éveline Cameron, et vous l’emportez sur moi.

— Vargrave, dit Maltravers, vous m’avez parlé franchement ; je vous répondrai avec une égale sincérité. La différence de nos goûts, de nos caractères, de nos opinions, nous a jetés depuis longtemps dans des voies opposées. Pour moi, je ne puis séparer la moralité politique de la vertu privée. Par des motifs que vous connaissez mieux que personne, mais que je tiens, je vous le dis ouvertement, pour ceux de l’intérêt et de l’ambition, vous avez, je ne dis pas changé d’opinions (il n’y a pas de mal à cela), mais, tout en les conservant en particulier, vous en avez affiché d’autres en public, et vous avez joué avec les destinées de l’humanité, comme si les hommes n’étaient que des jetons, faits pour marquer un jeu mercenaire. Lorsque je m’en fus aperçu, j’examinai votre caractère d’un regard plus scrutateur ; et je conclus de cet examen que je ne pouvais plus avoir foi en vous. Pour ce qui est de la morte… Laissons retomber la pierre sur cette jeune tombe !… Je vous acquitte de tout