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tous, et, méfiant comme il croyait être, il se reposait sur la sécurité de la foi d’Éveline, sans être troublé par un seul doute. Il n’était pas même tourmenté par quelqu’un de ces pressentiments qui l’avaient obsédé dans les premiers temps qu’il avait été fiancé à Florence. L’affection d’une personne si jeune et si ingénue semblait lui rendre à lui-même toute sa jeunesse. On n’est jamais vieux tant qu’on peut inspirer de l’amour à un jeune cœur ; soudain aussi le monde prit à ses yeux un aspect plus riant et plus beau. L’espérance qui renaissait en lui le réconcilia avec sa carrière et ses semblables. Plus il écoutait parler Éveline, plus il découvrait en elle de nouveaux témoignages d’un naturel docile et généreux, et plus il se sentait assuré d’avoir enfin trouvé un cœur conforme au sien. L’admirable sérénité du caractère d’Éveline, joyeux sans être jamais fougueux ou bruyant, lui communiquait sa gaîté par une contagion insensible. Être auprès d’elle, c’était se mettre en espalier au soleil, sous quelque ciel riant ! Pour un homme lassé du bruit et des spectacles trop connus de ce monde monotone, il y avait un charme inexprimable à épier les pensées, les idées toujours fraîches et étincelantes qui jaillissaient de cette âme ignorante de la vie. Ce qui charmait surtout cet homme si difficile pour tout ce qui touchait à la véritable noblesse du caractère, c’était de voir que, quelque fût le sujet en discussion, jamais aucune pensée basse ou mesquine ne souillait les lèvres charmantes d’Éveline. Ce n’était pas seulement l’innocence de l’inexpérience, c’était surtout l’incapacité morale de mal faire qui l’enchantait dans la compagne qu’il s’était choisie pour parcourir avec lui la route de l’éternité. Et puis quel ravissement de voir la promptitude avec laquelle Éveline savait se créer des ressources contre l’ennui ! Elle possédait cette faculté, sans laquelle la femme n’a pas d’indépendance en dehors du monde, pas de garantie que la retraite domestique ne lui deviendra pas bientôt d’une fatigante monotonie : la faculté de trouver une occupation ou un passe-temps dans les moindres choses ; elle s’amusait de peu, et pourtant elle se résignait sans peine aux désappointements. Il sentit (et il se reprocha de ne l’avoir pas senti plus tôt) que, jeune et adorablement jolie comme elle l’était, elle n’avait pas besoin de rechercher pour stimulants les plaisirs tumultueux du monde, l’admiration vide de la foule.

« Telles sont les natures, pensait-il, qui peuvent seules