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« Ah ! je sais enfin, je sais d’aujourd’hui combien la vie est belle ! dit Maltravers en pressant la main qu’il croyait posséder à jamais. C’était donc pour un pareil bonheur que j’étais réservé ! Que le Ciel est miséricordieux envers moi ! Le monde réel est mille fois plus radieux que le monde de mes rêves ! »

Il s’arrêta soudain. En ce moment Éveline et Maltravers se retrouvaient sur la terrasse où ce dernier avait abordé Teresa, en face du bois qui n’était séparé de l’endroit où ils se trouvaient que par une palissade légère et peu élevée. Il s’était arrêté soudain, car ses yeux avaient rencontré un objet terrible et sinistre, une image qui se rattachait aux plus tristes associations du destin et de la douleur. L’apparition s’était dressée sur un monceau de bois coupé, de l’autre côté de la clôture, et, de là, elle paraissait d’une stature gigantesque. Deux yeux qui flamboyaient d’un feu surnaturel se fixaient sur les amants, et une voix, dont Maltravers ne se souvenait que trop bien, cria :

« L’amour !… l’amour !… Quoi ! tu aimes encore, toi ?… Où donc est la morte ? Ah ! ah ! Où est la morte ? »

Éveline, épouvantée par ces paroles, leva les yeux, et par un mouvement de muet effroi elle se suspendit au bras de Maltravers. Celui-ci était resté immobile.

« Pauvre malheureux, dit-il enfin avec douceur, comment vous trouvez-vous ici ? Ne fuyez pas ; vous êtes parmi des amis.

— Des amis ! s’écria le fou, avec un rire ironique. Je te connais, Ernest Maltravers, je te connais. Mais ce n’est pas toi qui m’as enfermé dans les ténèbres et dans l’enfer, côte à côte avec un démon railleur ! Des amis ! ah ! mais il n’est pas d’amis qui puissent me prendre maintenant ! Je suis libre !… je suis libre !… ni l’air, ni les vagues ne sont plus libres que moi ! (Et le fou se mit à rire avec une horrible gaîté.) Elle est belle… bien belle, dit-il, en s’arrêtant soudain, et en changeant de ton ; mais elle n’est pas si belle que la morte. Infidèle que tu es ! et pourtant elle t’aimait, toi ! Malheur à toi ! malheur à toi, Maltravers le perfide ! malheur, remords et honte à jamais !

— Ne craignez rien, Éveline, ne craignez rien, dit tout bas Maltravers en la plaçant doucement derrière lui ; soutenez votre courage ; aucun danger ne vous atteindra. »

Éveline, quoique très-pâle, et tremblant de la tête aux pieds, maîtrisa son effroi. Maltravers s’avança vers le fou.