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égaux : je suis l’héritier des couronnes de France et de Navarre. Dormez, vous dis-je !

— Et quel prince ou quel potentat, quel roi ou quel empereur, s’écria Cesarini, auquel, par une prompte contagion, se communiqua l’accès qui avait saisi son compagnon, oserait donner des ordres au Monarque de la terre et de l’air, des éléments et des étoiles, mères de l’harmonie ? Je suis le Barde Cesarini ! Orion le chasseur s’arrête dans sa course pour prêter l’oreille aux accents de ma lyre ! Tais-toi, homme grossier ! tu effrayes et tu chasses les anges dont le souffle tout à l’heure agitait déjà mes cheveux !

— C’est trop horrible ! s’écria l’homme de sang en frissonnant ; mes ennemis sont donc impitoyables, de m’avoir donné un fou pour geôlier !

— Ha !… un fou !… s’écria Cesarini, en se dressant soudain de toute sa hauteur, et en regardant le soldat avec des yeux aussi ardents que la flamme qu’ils réfléchissaient. — Et qui es-tu, toi ? quelque démon de l’enfer, ligué contre moi avec mes persécuteurs ! »

Inspiré par l’instinct de son ancienne profession et de son antique valeur, le soldat aussi s’était levé en voyant le mouvement de son compagnon. Ses traits farouches étaient contractés de rage et d’effroi.

« Arrière ! dit-il en agitant le bras ; nous te bannissons de notre présence ! C’est ici notre palais, et nos gardes sont proches ! (Le malheureux indiquait du doigt les arbres mornes et dépouillés groupés alentour dans leur fantastique nudité.) Va-t’en ! »

En ce moment ils entendirent au loin les aboiements d’un chien, et tous deux crièrent simultanément :

« On est à ma poursuite !… Trahi ! »

Le soldat s’élança sur Cesarini pour le saisir à la gorge ; mais au même instant l’Italien arracha du feu un tison à demi brûlé et il en lança l’extrémité embrasée au visage de son assaillant. Le soldat poussa un cri de douleur, et recula aveuglé et épouvanté. Cesarini, dont la folie, lorsqu’elle était complétement déchaînée, était des plus dangereuses, leva une fois encore son arme, et probablement la mort seule aurait pu séparer les deux adversaires, si les aboiements du chien n’eussent recommencé. Cesarini répondit à ce bruit par un hurlement sauvage, jeta le tison et s’enfuit au travers de la forêt avec une inconcevable rapidité. Il franchissait les broussailles et les fossés ; les branches déchi-