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— Peut-être que non, dit le soldat qui avait conservé toute son astuce militaire. Mais êtes-vous préparé ? ne vous faut-il pas un peu de temps pour vous résoudre ?

— Non ! non !.. J’en ai eu assez de temps ! je suis prêt.

— Eh bien, alors… chut !.. on nous surveille ; voici un des geôliers !… Parlez naturellement, souriez, riez aux éclats, venez par ici. »

Ils passèrent auprès de l’un des surveillants de l’établissement, et lorsqu’ils furent à portée d’être entendus de lui, le soldat se tourna vers Cesarini.

« Seriez-vous assez bon pour me prêter votre tabatière, monsieur ? dit-il.

— Je n’en ai pas.

— Vous n’en avez pas ? quel dommage ! Mon bon ami (et il se tourna vers l’espion), pourrais-je vous prier d’aller dans ma chambre me quérir ma tabatière ? Elle est sur ma cheminée ; ce sera l’affaire d’une minute. »

La folie du soldat était considérée comme des plus inoffensives, et ses parents qui étaient riches et bien nés avaient prié qu’on ne lui refusât rien. Le surveillant ne conçut aucune défiance, et s’achemina vers la maison. Aussitôt que les arbres l’eurent caché :

« Maintenant, s’écria le soldat, courbez-vous presque à terre, et courez vite. »

En disant ces mots le fou se mit à courir en rampant avec une rapidité que Cesarini imita de son mieux. Ils atteignirent la palissade qui séparait le potager du jardin d’agrément ; le soldat la franchit sans effort ; Cesarini le suivit avec un peu plus de difficulté ; ils se remirent à ramper ; les herbes potagères et les légumes, avec leurs longues tiges, cachaient leurs mouvements ; le jardinier était encore sur son échelle. « Bonne espérance ! » dit le soldat à travers ses dents serrées, se souvenant de quelque vieux mot d’ordre des guerres qu’il avait faites ; puis, tandis que Cesarini tenait l’échelle, il s’élança sur les degrés et par un soudain effort de son bras nerveux, il précipita le jardinier à terre. Celui-ci surpris, étourdi, épouvanté n’essaya pas de lutter contre les deux fous, il se mit à crier au secours ! Mais le secours vint trop tard ; ces étranges et terribles camarades avaient déjà escaladé le mur, ils s’étaient laissés tomber de l’autre côté, et couraient à toutes jambes au travers des champs plongés dans l’ombre, pour gagner la forêt voisine.