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nuits d’hiver, les branches du vieil arbre dissimuleraient le bruit de son travail solitaire. Maintenant enfin ses espérances allaient être réalisées. Pauvre fou ! toi aussi tu espères donc encore ? Pendant toute cette nuit il travailla sans relâche, s’efforçant de faire de son clou une lime ; tantôt il s’acharnait aux barreaux, et tantôt à la boiserie. Hélas ! il n’avait pas appris à se servir de pareils outils avec l’adresse que possédait le fameux modèle dont il voulait s’inspirer ; la chair de ses doigts était lacérée, des gouttes de sueur froide perlaient sur son front, et lorsque l’aube le surprit, il n’avait pas avancé dans son travail de l’épaisseur d’un cheveu.

Il rentra sans bruit dans son lit, il cacha encore une fois son inutile outil, et à la fin il s’endormit.

Nuit après nuit la même tâche et les mêmes résultats. Mais un jour Cesarini en rentrant de sa promenade mélancolique dans le jardin (le maître de l’établissement le décorait du nom de jardin d’agrément ! ) trouva des ouvriers plus habiles que lui occupés à sa fenêtre ; ils réparaient la boiserie, ils raffermissaient les barreaux. Toute espérance était désormais évanouie. Le malheureux me dit rien ; trop rusé pour laisser voir son désespoir, il regarda les ouvriers en silence, et il les maudit. Mais le vieil arbre lui restait encore, et c’était quelque chose ; c’était une société, c’était de la musique.

Deux ou trois jours après ce barbare contretemps, Cesarini se promenait dans le jardin, vers la fin de l’après-dînée (juste à l’heure où, dans les journées courtes, la nuit descend rapidement aussitôt après le coucher du froid soleil de l’hiver), lorsqu’il fut abordé par un de ses compagnons d’infortune, qui souvent déjà avait cherché à lier connaissance avec lui, car ils tâchent de se faire des amis, ces pauvres gens ! Nous-mêmes, nous faisons comme eux, quoique nous prétendions n’être pas fous. Cet homme avait été soldat. Il avait servi sous Napoléon, il avait gagné des honneurs et des décorations, peut-être même avait-il rêvé un bâton de maréchal ! Mais le démon l’avait frappé dans son heure d’orgueil. Sa folie était de se croire monarque. Il s’imaginait (car il avait oublié la chronologie) qu’il était à la fois le masque de fer, et le véritable souverain de France et de Navarre, enfermé dans une prison d’État par les usurpateurs de sa couronne. Sur tout autre sujet son esprit était généralement lucide. C’était un homme grand et fort, aux traits farouches, aux lignes rudes et sévères. On lisait sur son front