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qui ont vu des fous dans leurs moments lucides. Il retomba sur sa chaise, et sa tête s’affaissa tristement sur sa poitrine.

« Non, dit-il ; je n’ai besoin de rien que de respirer l’air libre, ou de mourir ; l’un ou l’autre, peu m’importe. »

Montaigne resta quelque temps auprès de ce malheureux, cherchant à le calmer ; mais ce fut en vain. Pourtant, lorsqu’il se disposa à partir, Cesarini se leva vivement, et fixant sur Montaigne ses grands yeux mélancoliques, il s’écria :

« Ah ! ne me quittez pas encore. Il est si horrible de se trouver seul avec les morts, ou avec pis encore ! »

Le Français se détourna pour s’essuyer les yeux, et pour étouffer les larmes qui le suffoquaient ; il reprit un siège, et recommença à s’efforcer d’apaiser Cesarini. À la fin ce dernier, plus calme, lui permit de s’en aller.

« Partez, dit-il, partez ; dites à Teresa que je vais mieux, que je l’aime tendrement, que je vivrai pour dire à ses enfants de n’être pas poëtes. Arrêtez ! vous m’avez demandé si je désirais quelque chose : oui ; je voudrais changer de chambre ; celle-ci est trop isolée : j’y entends mon pouls battre si fort dans le silence ! c’est horrible ! Il y a une chambre au-dessous qui a une fenêtre à côté de laquelle se trouve un arbre ; le vent fait balancer les branches de cet arbre, qui soupire et gémit comme un être vivant. J’aurai du plaisir à le regarder, et à voir les oiseaux y revenir le soir… et pourtant cet arbre aussi est flétri et dévasté par l’hiver ! Mais c’est égal, j’aimerai à l’entendre se plaindre et se lamenter dans les nuits orageuses. Il sera mon ami, ce vieil arbre. Qu’on me donne cette chambre ! Voyons, ne vous regardez pas ainsi l’un l’autre ; la fenêtre est moins élevée que celle-ci, mais elle a des barreaux ; je ne pourrai m’évader ! »

Et Cesarini sourit.

« Assurément, dit le médecin, si vous préférez cette chambre, vous l’aurez ; mais elle n’a pas une aussi belle vue que celle-ci.

— Je hais la vue d’un monde qui m’a repoussé. Quand pourrai-je changer ?

— Ce soir même.

— Merci ; ce sera un grand événement dans ma vie. »

Les yeux de Cesarini étincelèrent, et il parut heureux. Montaigne, ému jusqu’aux larmes, s’arracha de ces lieux.

On lui tint parole ; et Cesarini fut transféré le soir même dans la chambre qu’il avait choisie.