Page:Bulwer-Lytton - Alice ou les mystères.pdf/342

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans une des chambres de cette maison. Son appartement était meublé avec une certaine élégance, des livres divers étaient épars sur les tables ; rien de ce que pouvaient suggérer les soins et la prévoyance de l’affection pour contribuer au bien-être et à l’amusement n’était oublié.

Cesarini était seul ; la joue appuyée sur sa main, il considérait le site paisible et ravissant que nous venons de décrire.

« Ne dois-je plus jamais poser un pied libre sur ce sol ? » murmura-t-il avec indignation, en sortant tout à coup de sa rêverie.

La porte s’ouvrit, et le gardien de cette triste demeure, médecin habile et plein d’humanité, entra suivi de Montaigne. Cesarini se tourna, et lança un regard malveillant sur ce dernier. Le médecin, après quelques paroles de salutation, se retira dans un coin de la chambre et parut absorbé par la lecture d’un livre. Montaigne s’approcha de son beau-frère.

« Je vous ai apporté des poésies qui viennent d’être publiées à Milan, mon cher Castruccio ; elles vous feront plaisir.

— Rendez-moi ma liberté ! s’écria Cesarini, en serrant les poings. Pourquoi me retient-on ici ? Pourquoi mes nuits sont-elles troublées par les gémissements des insensés ? Pourquoi mes jours se consument-ils dans une solitude qui me fait haïr l’aspect des choses qui m’environnent ? Suis-je fou, moi ? Vous savez bien que je ne le suis pas ! C’est un vieux préjugé qu’on a de dire que les poètes sont fous ; on prend nos angoisses pour de la démence. Voyez, je suis calme, je puis raisonner. Faites-moi subir n’importe quelle épreuve d’un esprit sain et maître de lui-même ; quelque sévère qu’elle soit, j’en triompherai. Je me suis pas fou ! Je vous jure que je ne le suis pas !

— Non, mon cher Castruccio, dit Montaigne en cherchant à le calmer, mais vous êtes encore souffrant ; vous avez encore de la fièvre. La prochaine fois que je vous verrai, peut-être serez-vous assez bien rétabli pour prendre congé du docteur, et changer d’air. En attendant, y a-t-il quelque chose que vous désiriez qu’on vous procure, ou qu’on change dans votre vie ? »

En écoutant ces paroles Cesarini avait un pli railleur à la lèvre ; mais ses yeux étaient pleins d’une expression de douleur et de désespoir que peuvent seuls comprendre ceux