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et la simplicité. Peut-être Alice avait-elle dans sa nature plus de profondeur réelle, plus d’ardeur dans les affections, plus de sublimité dans les sentiments qu’Éveline. Mais dans son ignorance primitive un grand nombre de ses plus belles qualités se trouvaient ensevelies et cachées. Et Éveline, l’égale de Maltravers par son rang, Éveline dont l’esprit était cultivé, Éveline si longtemps courtisée, si soigneusement étudiée, Éveline avait d’immenses avantages Sur la pauvre paysanne. Pourtant, dans ce charmant visage, il croyait souvent voir la pauvre paysanne lui sourire. En aimant Éveline c’était presque Alice qu’il recommençait à aimer.

Éveline et Maltravers se voyaient maintenant tous les jours. Leurs relations étaient encore plus familières qu’auparavant. D’heure en heure, l’esprit de chacun d’eux se déployait et devenait plus transparent aux regards de l’autre. Mais Maltravers s’abstenait toujours de parler d’amour, ils étaient amis, rien de plus : une amitié que justifiait la différence d’âge et d’expérience qui existait entre eux. Dans cette jeune et innocente nature, avec sa droiture, son enthousiasme, ses tendances pieuses et sereines, Maltravers trouvait la fraîcheur dans le désert, comme le chamelier qui s’arrête au bord du puits. Par degrés son cœur se réchauffait vis-à-vis de ses semblables. Cette voix suave, comme la harpe de David à l’oreille de Saül, endormait le souvenir et réveillait l’espérance dans le cœur de l’homme solitaire.

Cependant quel était l’effet que produisaient sur Éveline la présence et les attentions de Maltravers ? Peut-être un de ceux qui flattent et qui trompent le plus. Jamais elle ne songea à le comparer à d’autres. Elle le plaçait dans ses pensées seul et à part de ses semblables. Cela peut sembler paradoxal ; mais peut-être l’admirait-elle et le vénérait-elle trop pour l’aimer. Cependant le plaisir qu’elle éprouvait dans sa société était si manifeste, si incontestable, sa déférence pour ses opinions si marquée, elle sympathisait avec lui sur tant de points, elle se montrait si aveugle ou si indulgente pour ses défauts (car il ne cherchait pas à les lui cacher), que l’homme le plus porté à se défier de lui-même aurait conçu de tous ces symptômes les espérances les plus favorables. Depuis le départ de Legard les plaisirs de Paris avaient perdu leur charme pour Éveline, et plus que jamais elle appréciait la société de son ami. Il perdit ainsi par degrés les premières craintes qu’il avait conçues d’abord qu’elle ne s’attachât trop au monde ; et comme rien n’était plus