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vérité : c’était peut-être la première fois de sa vie qu’il s’était connu véritablement amoureux.

Le lecteur se rappelle qu’il n’avait pas été épris de l’altière Florence. L’admiration, la reconnaissance, l’affection de l’esprit plutôt que celle du cœur avaient été les liens qui l’avaient attaché à sa correspondante enthousiaste, à cette femme belle et heureusement douée. Les douloureuses circonstances qui avaient environné le cruel destin de sa jeune amie, avaient laissé de profondes cicatrices dans sa mémoire. Le temps et les vicissitudes avaient effacé les traces de ces blessures, et la lumière du beau éclatait une fois encore à ses yeux sur le visage d’Éveline. Valérie de Ventadour n’avait été que le caprice d’un cœur errant. Alice, la douce Alice !… celle-là en effet dans la première fleur de sa jeunesse, il l’avait aimée avec le poétique enthousiasme d’un enfant. Il l’avait aimée sincèrement, tendrement : mais peut-être n’en avait-il jamais été amoureux. Il avait pleuré la perte d’Alice pendant bien des années ; sans qu’il le sût, cette perte avait changé tout son caractère, et jeté un voile de tristesse sur toute sa vie. Mais combien celle dont les idées étaient si peu développées encore, celle dont l’esprit s’entr’ouvrait à peine au savoir, comme le papillon qui sort de la chrysalide, combien cette jeune paysanne eût mal répondu aux exigences de cette nature prodigue et fougueuse, qui s’élançait d’un bond à travers les vastes plaines de la vie ! Ils n’avaient rien eu de commun que leur jeunesse et leur amour. C’était un rêve qui avait plané au-dessus de l’enfant-poëte, à l’aube matinale ; un rêve que souvent il avait voulu évoquer une fois encore ; un rêve qui l’avait poursuivi au milieu de sa carrière, mais qui, semblable à toutes les visions d’enfance, n’avait épuisé ni son cœur ni ses passions. Des années, de longues années, s’étaient écoulées depuis, et pourtant le charme qui à son insu attira soudain Maltravers vers Éveline, était un je ne sais quoi d’indistinct et d’indéfinissable, qui lui rappelait Alice. Il n’y avait pas de ressemblance dans leurs traits ; mais par moments une intonation de la voix d’Éveline, quelque chose dans ses manières, un certain air, un geste, lui faisait franchir les abîmes du temps, pour le ramener à la poésie, à l’espérance, aux pieds d’Alice.

Dans la jeunesse de chacune d’elles, de l’absente qu’il regrettait et de celle qu’il voyait devant lui, il y avait une certaine ressemblance ; elles se ressemblaient par la grâce