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Un soir, Legard se laissa entraîner à une soirée chez l’ambassadeur de ***. Il se tenait près d’une porte, lorsqu’il aperçut, à peu de distance, Maltravers qui causait avec Éveline. Il ressentit encore les tourments d’une jalouse angoisse ; et là, tandis qu’il regardait et qu’il souffrait, il résolut (comme autrefois Maltravers) de fuir un lieu qui, peu de temps auparavant, lui avait paru un Élysée. Il voulait quitter Paris, il voulait voyager, il voulait ne revoir Éveline que lorsque la barrière irrévocable serait franchie, lorsqu’elle serait la femme de Maltravers ! Dans le premier feu de cette décision, il se tourna vers quelques jeunes gens qui se tenaient debout près de lui, et dont l’un était sur le point de partir pour Vienne. Il lui proposa gaîment de partir avec lui, la proposition fut acceptée sur-le-champ, et il commença à causer du voyage, de la ville, de sa riche et fière société, avec cette gaîté cruelle que l’animation forcée d’un cœur blessé peut seule déployer. En ce moment Éveline, dont la conversation avec Maltravers se trouvait terminée, passa tout près de lui. Elle s’appuyait au bras de lady Doltimore ; le murmure d’admiration de ses compagnons fit soudain retourner la tête à Legard.

« Vous ne dansez pas ce soir, colonel, dit Caroline en jetant un coup d’œil à Éveline. Plus la saison des bals avance, et plus vous devenez paresseux. »

Legard murmura confusément une réponse dont une moitié semblait assez aigre, et l’autre inintelligible.

« Pas si paresseux que vous le supposez, dit son ami, Legard projette une excursion qui relèvera, je l’espère, sa réputation à vos yeux. C’est un long voyage, et qui pis est, un voyage bien froid, à Vienne.

— À Vienne ! Est-ce que vous vous proposeriez d’aller à Vienne ? s’écria Caroline.

— Oui, dit Legard, je déteste Paris. Mieux vaut aller n’importe où que de rester dans cette ville odieuse ! »

En disant ces mots il s’éloigna. Éveline le suivit d’un regard triste et grave. Elle resta quelques minutes auprès de lady Doltimore, pensive et silencieuse.

Cependant Caroline se tournant vers lord Devonport, l’ami qui avait proposé l’excursion viennoise, lui dit :

« C’est bien cruel de votre part d’aller à Vienne ; et doublement cruel de priver lord Doltimore de son meilleur ami, et Paris de son meilleur valseur.

— C’est Legard qui s’est offert de lui-même à m’accompagner, lady Doltimore, croyez-le bien ; ce n’est pas moi qui