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progrès du temps ; je calcule les minutes par ses battements. Dans une heure je la verrai !

« Oh ! jamais ! jamais, dans mes premières et mes plus folles visions, je n’avais imaginé que j’aimerais comme j’aime maintenant ! Adieu, mon meilleur et mon plus ancien ami ! Si je suis heureux enfin, ce sera quelque chose d’avoir fini par réaliser ce que vous attendiez de ma jeunesse !

Votre affectionné,
E. Maltravers.

« Rue de ***", Paris,

« Janvier, 18… »

CHAPITRE II

Sa jeunesse est un langage touchant et muet, qui attendrit les hommes.
(Shakespeare. — Mesure pour Mesure.)
L’Abbesse. — Peut-être en particulier.

Adriana. — Et en public aussi.

(Shakespeare. — La comédie des méprises.)

Il est vrai, comme l’avait dit Maltravers, que Legard dans les derniers temps s’était peu montré chez lady Doltimore, ou dans la même société qu’Éveline. Avec la véhémence d’une nature ardente et passionnée, il cédait à la colère jalouse et au chagrin dont il était dévoré. Il vit trop clairement, dès le premier jour, que Maltravers adorait Éveline ; et la familiarité affectueuse des manières de cette jeune fille vis-à-vis de Maltravers, la vénération sans bornes dans laquelle elle semblait tenir ses talents et ses qualités, lui firent penser que cet amour pourrait bien être payé de retour. Il devint sombre et presque morose, il évita Éveline, il refusa d’entrer en lice avec son rival. Et en effet la supériorité intellectuelle de Maltravers, le charme étincelant de sa conversation, la dignité imposante de ses manières, et même l’autorité bien établie de sa réputation et de son âge, auraient pu étouffer les espérances et décourager l’amour-propre, même d’un homme accoutumé à être un oracle dans